LETTRE ENCYCLIQUE
DILEXIT NOS
DU SAINT-PÈRE
FRANÇOIS
SUR L’AMOUR HUMAIN ET DIVIN
DU CŒUR DE JÉSUS-CHRIST
1. « Il nous a aimés » dit
saint Paul, en parlant du Christ (Rm 8, 37), nous faisant découvrir
que rien « ne pourra nous séparer » (Rm 8, 39) de son amour. Il
l’affirme avec certitude car le Christ l’a dit lui-même à ses disciples : « Je
vous ai aimés » (Jn 15, 9.12). Il a dit aussi : « Je vous appelle
amis » (Jn 15, 15). Son cœur ouvert nous précède et nous attend
inconditionnellement, sans exiger de préalable pour nous aimer et nous offrir
son amitié : « Il nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19). Grâce à
Jésus, « nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru »
(1 Jn 4, 16).
2. On utilise souvent le
symbole du cœur pour parler de l’amour de Jésus-Christ. Certains se demandent
si cela a encore un sens aujourd’hui. Or, lorsque nous sommes tentés de
naviguer en surface, de vivre à la hâte sans savoir pourquoi, de nous
transformer en consommateurs insatiables, asservis aux rouages d’un marché qui
ne s’intéresse pas au sens de l’existence, nous devons redécouvrir l’importance
du cœur [1].
Quelle compréhension avons-nous
du “cœur” ?
3. Dans le grec classique
profane, le terme kardia désigne le tréfonds des êtres
humains, des animaux et des plantes. Il indique chez Homère, non seulement le
centre corporel, mais aussi le centre émotionnel et spirituel de l’homme. Dans
l’ Iliade, la pensée et le sentiment relèvent du cœur et sont très
proches l’un de l’autre. [2] Le
cœur apparaît comme le centre du désir et le lieu où se prennent les décisions
importantes de la personne. [3] Le
cœur acquiert chez Platon une fonction de “synthèse” du rationnel et des
tendances de chacun, les passions et les requêtes des facultés supérieures se
transmettant à travers les veines et confluant vers le cœur. [4] C’est
ainsi que nous voyons depuis l’antiquité l’importance de considérer l’être
humain non pas comme une somme de diverses facultés, mais comme un ensemble
âme-corps avec un centre unificateur qui donne à tout ce que vit la personne un
sens et une orientation.
4. La Bible affirme que «
vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace […] elle peut juger les
sentiments et les pensées du cœur » (He 4, 12). Elle nous parle
ainsi d’un centre, le cœur, qui se trouve derrière toute apparence, même
derrière les pensées superficielles qui nous trompent. Les disciples d’Emmaüs,
dans leur marche mystérieuse avec le Christ ressuscité, ont vécu un moment
d’angoisse, de confusion, de désespoir, de désillusion. Mais au-delà et malgré
tout, quelque chose se passait au fond d’eux : « Notre cœur n’était-il pas tout
brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin ? » (Lc 24,
32).
5. En même temps, le cœur
est le lieu de la sincérité où l’on ne peut ni tromper ni dissimuler. Il
renvoie généralement aux véritables intentions d’une personne, ce qu’elle
pense, croit et veut vraiment, les “secrets” qu’elle ne dit à personne et, en
fin de compte, sa vérité nue. Il s’agit de ce qui est authentique, réel,
vraiment “à soi”, ce qui n’est ni apparence ni mensonge. C’est pourquoi Dalila
déclarait à Samson qui ne lui révélait pas le secret de sa force : « Comment
peux-tu dire que tu m’aimes, alors que ton cœur n’est pas avec moi ? » (Jg 16,
15). Ce n’est que lorsqu’il lui confia son secret, si caché, qu’elle « comprit
qu’il lui avait ouvert tout son cœur » (Jg 16, 18).
6. Cette vérité propre à
toute personne est souvent cachée sous beaucoup de feuilles mortes, au point
qu’il est difficile de se connaître soi-même et plus difficile encore de
connaître l’autre : « Le cœur est rusé plus que tout, et pervers, qui peut le
pénétrer ? » (Jr 17, 9). Nous comprenons ainsi pourquoi le livre
des Proverbes nous interpelle : « Plus que sur toute chose, veille sur ton
cœur, c’est de lui que jaillit la vie. Écarte loin de toi la bouche perverse »
(4, 23-24). L’apparence, la dissimulation et la supercherie abîment et
pervertissent le cœur. Nombreuses sont nos tentatives pour montrer ou exprimer
ce que nous ne sommes pas ; or, tout se joue dans le cœur. On y est soi-même,
quel que soit ce que l’on montre extérieurement et ce que l’on cache. C’est la
base de tout projet solide pour la vie, car rien de valable ne se construit
sans le cœur. L’apparence et le mensonge n’offrent que du vide.
7. En guise de métaphore,
je voudrais rappeler une chose que j’ai déjà racontée à d’autres occasions : «
Pour le carnaval, quand nous étions enfants, notre grand-mère nous faisait des
biscuits, et elle faisait une pâte très fine. Ensuite, elle la mettait dans
l’huile et cette pâte gonflait, gonflait et, quand nous la mangions, elle était
vide. En dialecte, ces biscuits s’appelaient des “mensonges”. Et la grand-mère
nous en expliquait la raison : “Ces biscuits sont comme les mensonges : ils
semblent grands, mais ils n’y a rien dedans, il n’y a là aucune vérité, il n’y
a aucune substance” ». [5]
8. Au lieu de rechercher
des satisfactions superficielles et de jouer un rôle devant les autres, il vaut
mieux laisser surgir les questions décisives : qui suis-je vraiment, qu’est-ce
que je cherche ? Quel sens je veux donner à ma vie, à mes choix ou à mes
actions ? Pourquoi et dans quel but suis-je dans ce monde ? Comment est-ce que
je veux donner de la valeur à mon existence lorsqu’elle s’achèvera ? Quel sens
je veux donner à tout ce que je vis ? Qui est-ce que je veux être devant les
autres ? Qui suis-je devant Dieu ? Ces questions me ramènent à mon cœur.
Revenir au cœur
9. Dans ce monde liquide,
il est nécessaire de parler à nouveau du cœur, d’indiquer le lieu où toute
personne, quelle que soit sa catégorie et sa condition, fait sa synthèse ; là
où l’être concret trouve la source et la racine de toutes ses autres forces,
convictions, passions et choix. Mais nous évoluons dans des sociétés de
consommateurs en série vivant au jour le jour, dominés par les rythmes et les
bruits de la technologie, et qui n’ont pas une grande patience pour accomplir
les processus que l’intériorité requiert. Dans la société actuelle, l’être
humain « risque de perdre le centre, le centre de lui-même ». [6] «
L’homme contemporain est souvent perturbé, divisé, presque privé d’un principe
intérieur qui crée l’unité et l’harmonie de son être et de son agir.
Malheureusement, des modèles de comportement assez répandus amplifient sa
dimension rationnelle et technologique, ou à l’inverse sa dimension instinctive
». [7] Le
cœur fait défaut.
10. Certes, le problème
d’une la société liquide est d’actualité, mais la dévalorisation du centre
intime de l’homme – du cœur – vient de très loin : on la trouve déjà dans le
rationalisme grec et préchrétien, dans l’idéalisme postchrétien et dans le
matérialisme sous ses diverses formes. Le cœur a peu de place dans
l’anthropologie et il est une notion étrangère pour la grande pensée
philosophique. D’autres concepts tels que la raison, la volonté ou la liberté
lui ont été privilégiés. Sa signification est vague et on ne lui a pas donné de
place spécifique dans la vie humaine. Peut-être parce qu’il n’était pas facile
de le placer parmi les idées “claires et distinctes” ou en raison de la
difficulté à se connaître soi-même : il semblerait que la réalité la plus
intime soit aussi la plus lointaine de la connaissance. Souvent la rencontre de
l’autre n’est pas un moyen de se trouver soi-même, puisque notre mentalité est
dominée par un individualisme malsain. Beaucoup se sont sentis en sécurité dans
le domaine plus contrôlable de l’intelligence et de la volonté afin de
construire leurs systèmes de pensée. Ils ne trouvaient pas, en effet, de place
pour le cœur lui-même, distinct des forces et des passions humaines considérées
isolément les unes des autres. L’idée d’un centre personnel, où la seule chose
qui puisse tout unifier est en fin de compte l’amour, n’était pas non plus
largement développée.
11. Si le cœur est
dévalorisé, alors parler avec le cœur, agir avec le cœur, mûrir et prendre soin
du cœur est également dévalorisé. Lorsque la spécificité du cœur n’est pas
prise en compte, sont perdues les réponses que l’intelligence à elle seule ne
peut donner, perdue la rencontre avec les autres, perdue la poésie. Et nous
passons à côté de l’histoire et de nos histoires, car la véritable aventure
personnelle est celle qui se construit à partir du cœur. À la fin de la vie,
c’est tout ce qui comptera.
12. Il faut affirmer que
nous avons un cœur, que notre cœur coexiste avec les autres cœurs qui l’aident
à être un “tu”. Comme nous ne pouvons pas développer longuement ce thème, nous
citerons un personnage de roman, Stavroguine de
Dostoïevski. [8] Romano
Guardini le décrit comme une incarnation même du mal, car sa principale
caractéristique est d’être sans cœur : « Stavroguine n’a pas de cœur, son
esprit est donc quelque peu froid et impitoyable, et son corps est empoisonné
par l’inertie et la sensualité bestiale. Il ne peut donc pas atteindre les
autres hommes, et aucun d’entre eux ne peut vraiment l’atteindre, car c’est le
cœur qui crée les possibilités de rencontre. C’est par le cœur que je suis aux
côtés de l’autre et que l’autre est proche de moi. Seul le cœur peut accueillir
et donner un asile. L’intimité est l’acte, la sphère du cœur. Stavroguin,
cependant, est une personne distante, [...] il est très loin, y compris de
lui-même, car la partie la plus intime de l’homme se trouve dans le cœur et non
dans l’esprit. L’intériorité qui réside dans l’esprit n’est pas le propre de
l’homme. Mais quand le cœur n’est pas vivant, l’homme n’est pas en lui-même,
mais à côté de lui-même ». [9]
13. Il faut que toutes les
actions soient placées sous le “contrôle politique” du cœur, que l’agressivité
et les désirs obsessionnels se calment dans le bien le plus grand que leur
offre le cœur et dans sa force contre les maux ; il faut que l’intelligence et
la volonté se mettent également à son service, en sentant et goûtant les
vérités plutôt qu’en voulant les dominer comme certaines sciences ont tendance
à le faire ; il faut que la volonté désire le bien le plus grand que le cœur
connaît, et que l’imagination et les sentiments se laissent modérer par le
battement du cœur.
14. En définitive, on
pourrait dire que je suis mon cœur, car c’est lui qui me distingue, me façonne
dans mon identité spirituelle et me met en communion avec les autres. Les
algorithmes à l’œuvre dans le monde numérique montrent que nos pensées, et ce
que décide notre volonté, sont beaucoup plus “standards” que nous ne le
pensions. Elles sont facilement prévisibles et manipulables. Il n’en va pas de
même pour le cœur.
15. Le mot “cœur” est
important pour la philosophie et la théologie qui cherchent à réaliser une
synthèse. En effet, le mot “cœur” ne peut être épuisé par la biologie, la
psychologie, l’anthropologie ou toute autre science. Il fait partie de ces mots
originels « qui désignent les réalités de l’homme qui lui reviennent dans la
mesure où il est précisément un être complet (en tant que personne corporelle
et spirituelle) ». [10] Ainsi,
le biologiste n’est pas plus réaliste que les autres lorsqu’il parle du cœur,
car il n’en voit qu’une partie ; or le tout n’est pas moins réel, il l’est même
davantage. Un langage abstrait ne pourrait pas non plus avoir la même
signification concrète et intégrante en même temps. Si le “cœur” nous conduit
au plus profond de notre personne, il nous permet aussi de nous reconnaître
dans notre globalité et pas seulement dans un aspect isolé.
16. D’autre part, cette
force unique du cœur nous aide à comprendre pourquoi il est dit que, lorsqu’une
réalité est saisie avec le cœur il est possible de mieux la connaître, et plus
complètement. Cela nous conduit inévitablement à l’amour dont le cœur est
capable, car « le fond de la réalité c’est l’amour ». [11] Pour
Heidegger, selon l’interprétation qu’en fait un penseur contemporain, la
philosophie ne commence pas par un concept pur ou une certitude, mais par une
émotion : « La pensée doit être saisie avant ou pendant qu’elle travaille avec
les concepts. Sans l’émotion, la pensée ne peut pas commencer. La première
image de la pensée, c’est la chair de poule. C’est l’émotion qui fait réfléchir
et questionner : “La philosophie se fait toujours dans un état d’âme
fondamental” ( Stimmung) ». [12] C’est
là qu’apparaît le cœur qui « abrite les états d’âme, fonctionne comme un
“gardien de l’état de l’âme”. Le “cœur” entend de manière non métaphorique “la
voix silencieuse” de l’être, se laissant modérer et déterminer par elle
». [13]
Le cœur qui assemble les
fragments
17. En même temps, le cœur
rend possible tout lien authentique, car une relation qui n’est pas construite
par le cœur ne peut pas surmonter le morcellement de l’individualisme. Deux
monades qui se croiseraient pourraient seulement se maintenir, mais elles ne
s’uniraient pas vraiment. L’anti-cœur est une société de plus en plus dominée
par le narcissisme et l’autoréférence. Nous arrivons finalement à la “perte du
désir”, parce que l’autre disparaît de l’horizon et nous nous enfermons dans
notre égoïsme, incapables de relations saines. [14] En
conséquence, nous devenons incapables d’accueillir Dieu. Comme le dirait
Heidegger, pour recevoir le divin, nous devons bâtir une « maison d’hôtes
». [15]
18. Nous voyons ainsi que,
dans le cœur de chaque personne, il existe ce lien paradoxal entre la
valorisation de soi et l’ouverture à l’autre, entre la rencontre très
personnelle avec soi-même et le don de soi à l’autre. Je ne deviens moi-même
que lorsque j’acquiers la capacité de reconnaître l’autre, et que je rencontre
l’autre qui peut reconnaître et accepter mon identité.
19. Le cœur est également
capable d’unifier et d’harmoniser l’histoire personnelle, qui semble fragmentée
en mille morceaux mais où tout peut avoir un sens. C’est ce que l’Évangile
exprime avec Marie qui regardait avec le cœur. Elle savait dialoguer avec les
expériences conservées en y réfléchissant dans son cœur, en leur donnant du
temps, les méditant et les conservant intérieurement pour se souvenir. Dans
l’Évangile, la meilleure expression de ce que pense le cœur est représentée par
les deux passages de saint Luc qui nous disent que Marie « gardait (syneterei)
toutes ces choses, les méditant (symballousa) dans son cœur » (cf. Lc 2,
19 ; cf. 2, 51). Le verbe symballein (d’où le terme “symbole”)
signifie méditer, unir deux choses dans son esprit, et aussi s’examiner
soi-même, réfléchir, dialoguer avec soi-même. En Lc 2,
51 dieterei signifie “conserver avec soin”, et ce qu’elle
conservait n’était pas seulement “la scène” qu’elle voyait, mais aussi ce
qu’elle ne comprenait pas encore, mais qui était présent et vivant dans
l’attente de tout rassembler dans son cœur.
20. À l’ère de
l’intelligence artificielle, nous ne pouvons pas oublier que la poésie et
l’amour sont nécessaires pour sauver l’homme. Ce qu’aucun algorithme ne pourra
jamais prendre en compte, c’est, par exemple, ce temps de l’enfance dont nous
nous souvenons avec tendresse et qui continue à se produire aux quatre coins de
la planète, même si les années passent. Je pense à l’utilisation de la
fourchette pour sceller les bords de ces panzerotti faits
maison avec nos mères ou nos grands-mères. C’est ce moment d’apprentissage
culinaire, à mi-chemin entre le jeu et l’âge adulte, où l’on prend la
responsabilité de travailler pour aider l’autre. Comme la fourchette, je
pourrais citer des milliers de petits détails qui se trouvent dans la
biographie de chacun : provoquer un sourire avec une plaisanterie, faire un
dessin au contrejour d’une fenêtre, jouer son premier match de football avec un
ballon en chiffon, conserver des vers dans une boîte à chaussures, faire sécher
une fleur entre les pages d’un livre, s’occuper d’un oiseau tombé du nid, faire
un vœu en cueillant une marguerite. Tous ces petits détails – ce qui est
ordinaire-extraordinaire – ne pourront jamais faire partie des algorithmes. Parce
que la fourchette, les plaisanteries, la fenêtre, le ballon, la boîte à
chaussures, le livre, l’oiseau, la fleur... reposent sur la tendresse que l’on
conserve dans les souvenirs du cœur.
21. Le noyau de tout être
humain, son centre le plus intime, n’est pas le noyau de l’âme mais de toute la
personne dans son identité unique qui est à la fois âme et corps. Tout s’unifie
dans le cœur qui peut être le siège de l’amour avec la totalité de ses
composantes spirituelles, émotionnelles et même physiques. En définitive, si
l’amour y règne, la personne réalise son identité de manière pleine et
lumineuse, car tout être humain a été créé avant tout pour l’amour, il est fait
dans ses fibres les plus profondes pour aimer et être aimé.
22. C’est pourquoi, en
voyant comment les nouvelles guerres se succèdent avec la complicité, la
tolérance ou l’indifférence d’autres pays, ou de simples luttes de pouvoir
autour d’intérêts partisans, nous sommes en droit de penser que la société
mondiale est en train de perdre son cœur. Il suffit de regarder et d’écouter
les femmes âgées – de différentes parties en conflit – qui sont prisonnières de
ces affrontements dévastateurs. Il est déchirant de les voir pleurer leurs
petits-enfants assassinés ou de les entendre souhaiter leur propre mort parce
qu’elles ont perdu la maison dans laquelle elles ont toujours vécu. Elles, qui
ont été souvent des modèles de force et d’endurance au cours de vies difficiles
et sacrifiées, parviennent aujourd’hui à la dernière étape de leur existence et
ne reçoivent pas la paix méritée, mais de l’angoisse, de la peur et de
l’indignation. Rejeter la responsabilité sur les autres ne résout pas ce drame
honteux. Voir des grands-mères pleurer sans que cela nous soit intolérable est
le signe d’un monde sans cœur.
23. Lorsqu’une personne
réfléchit, cherche, médite sur son être et son identité ou bien analyse des
questions supérieures ; lorsqu’elle réfléchit au sens de sa vie et même
lorsqu’elle recherche Dieu, si elle éprouve la joie d’avoir entrevu quelque
chose de la vérité, cela trouve son point culminant dans l’amour. En aimant, la
personne sent qu’elle sait pourquoi et dans quel but elle vit. Tout converge
ainsi vers un état de connexion et d’harmonie. C’est pourquoi, face à son
mystère personnel, la question la plus décisive que chacun peut se poser est
peut-être la suivante : ai-je un cœur ?
Le feu
24. Cela a des
conséquences pour la spiritualité. Par exemple, la théologie des Exercices
Spirituels de saint Ignace de Loyola a pour principe l’ affectus.
La dimension discursive repose sur une volonté fondamentale (avec toute la
force du cœur) qui donne force et ressources à la tâche de réorganisation de la
vie. Les règles et compositions de lieu qu’Ignace met en place fonctionnent sur
la base d’un “fondement” différent, l’inconnu du cœur. Michel de Certeau montre
comment les “motions” dont parle saint Ignace sont les irruptions d’une volonté
de Dieu et d’une volonté du cœur qui reste différente de la réalité présente.
Quelque chose d’inattendu commence à parler dans le cœur de la personne,
quelque chose qui naît de l’inconnaissable, enlève la surface de ce qui est
connu et s’y oppose. C’est l’origine d’un nouvel “ordonnancement de la vie” à
partir du cœur. Il ne s’agit pas de discours rationnels qu’il faudrait mettre
en pratique en les faisant passer dans la vie, de sorte que l’affectivité et la
pratique seraient les simples conséquences – en dépendance – d’un savoir
assuré. [16]
25. Là où le philosophe
arrête sa réflexion, le cœur croyant aime, adore, demande pardon et s’offre
pour servir à l’endroit que le Seigneur lui donne de choisir pour le suivre. Il
réalise alors qu’il est le “tu” de Dieu et qu’il peut être un “je” parce que
Dieu est un “tu” pour lui. Le fait est que seul le Seigneur nous offre de nous
traiter comme un “tu”, toujours et à jamais. Accepter son amitié est une
affaire de cœur et nous constitue en tant que personnes au sens plein du terme.
26. Saint Bonaventure
disait qu’en fin de compte, on doit demander « non pas la lumière mais le feu
». [17] Et
il enseignait que « la foi est dans l’intellect de manière à provoquer le
sentiment. Ainsi, le fait de savoir que le Christ est mort pour nous ne reste
pas une connaissance mais devient nécessairement sentiment, amour ». [18] Dans
cette ligne, saint John Henry Newman a pris pour devise la phrase « Cor
ad cor loquitur », parce qu’au-delà de toute dialectique, le Seigneur
nous sauve en parlant à nos cœurs à partir de son Sacré-Cœur. Cette même
logique faisait que pour lui, grand penseur, le lieu de la rencontre la plus
profonde, avec lui-même et avec le Seigneur, n’était pas la lecture ou la
réflexion, mais le dialogue priant, cœur à cœur avec le Christ vivant et
présent. C’est pourquoi Newman a trouvé dans l’Eucharistie le Cœur de
Jésus-Christ vivant, capable de libérer, de donner un sens à chaque instant et
de répandre en l’homme une paix véritable: « Ô très Sacré, très aimant Cœur de
Jésus, tu es caché dans la Sainte Eucharistie et tu bats toujours pour nous.
[…] Je t’adore donc avec amour et crainte, avec une affection fervente et une
volonté soumise et résolue. Ô mon Dieu, quand tu condescends à me permettre de
te recevoir, de te manger et de te boire, et à faire de moi pour un moment ta
demeure, oh ! fais battre mon cœur à l’unisson du tien. Purifie-le de tout ce
qui est terrestre, fier et sensuel, de tout ce qui est dur et cruel, de toute
atonie, de tout désordre, de toute perversité. Remplis-le de ta présence, afin
que ni les événements de la journée, ni les circonstances du temps présent
n’aient le pouvoir de le troubler ; mais que, dans ton amour et dans ta
crainte, il puisse trouver la paix ». [19]
27. Devant le Cœur de
Jésus vivant et présent, notre esprit comprend, éclairé par l’Esprit, les
paroles de Jésus. Notre volonté se met donc en mouvement pour les mettre en
pratique. Mais cela pourrait rester une forme de moralisme autosuffisant.
Sentir et goûter le Seigneur, et l’honorer, est une affaire de cœur. Seul le
cœur est capable de mettre les autres facultés et passions, et toute notre personne,
dans une attitude de révérence et d’obéissance amoureuse au Seigneur.
Le monde peut changer à partir du
cœur
28. Ce n’est qu’à partir
du cœur que nos communautés parviendront à unir leurs intelligences et leurs
volontés, et à les pacifier pour que l’Esprit nous guide en tant que réseau de
frères ; car la pacification est aussi une tâche du cœur. Le Cœur du Christ est
extase, il est sortie, il est don, il est rencontre. En Lui, nous devenons
capables de relations saines et heureuses les uns avec les autres et de
construire le Royaume de l’amour et de la justice dans ce monde. Notre cœur uni
à celui du Christ est capable de ce miracle social.
29. Prendre le cœur au
sérieux a des conséquences sociales. Comme l’enseigne le Concile Vatican II,
« nous avons tous assurément à changer notre cœur et à ouvrir les yeux sur le
monde, comme sur les tâches que nous pouvons entreprendre tous ensemble pour le
progrès du genre humain ». [20] Car
« les déséquilibres qui travaillent le monde moderne sont liés à un déséquilibre
plus fondamental qui prend racine dans le cœur même de l’homme ». [21] Face
aux drames du monde, le Concile nous invite à revenir au cœur, expliquant que
l’être humain, « par son intériorité, dépasse l’univers des choses : c’est à
ces profondeurs qu’il revient lorsqu’il fait retour en lui-même où l’attend ce
Dieu qui scrute les cœurs (cf. 1 S 16, 7 ; Jr 17,
10) et où il décide personnellement de son propre sort sous le regard de Dieu
». [22]
30. Cela ne signifie pas
qu’il faille trop compter sur soi-même. Prenons garde : rendons-nous compte que
notre cœur n’est pas autosuffisant, qu’il est fragile et blessé. Il a une
dignité ontologique mais, en même temps, il doit chercher une vie plus
digne. [23] Le Concile Vatican II déclare
également : « Quant au ferment évangélique, c’est lui qui a suscité et suscite
dans le cœur humain une exigence incoercible de dignité », [24] mais
pour vivre selon cette dignité, il ne suffit pas de connaître l’Évangile ni de
faire mécaniquement ce qu’il nous commande. Nous avons besoin de l’aide de
l’amour divin. Allons vers le Cœur du Christ, le centre de son être qui est une
fournaise ardente d’amour divin et humain et qui est la plus grande plénitude
que l’homme puisse atteindre. C’est là, dans ce Cœur, que nous nous
reconnaissons finalement nous-mêmes et que nous apprenons à aimer.
31. En définitive, le
Sacré-Cœur est le principe unificateur de la réalité, car « le Christ est le
cœur du monde ; sa Pâque de mort et de résurrection est le centre de l’histoire
qui, grâce à Lui, est histoire de salut ». [25] Toutes
les créatures « avancent, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est
Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et
illumine tout ». [26] Devant
le Cœur du Christ, je demande au Seigneur d’avoir à nouveau compassion pour
cette terre blessée qu’Il a voulu habiter comme l’un de nous. Qu’Il répande les
trésors de sa lumière et de son amour, afin que notre monde, qui survit au
milieu des guerres, des déséquilibres socioéconomiques, du consumérisme et de
l’utilisation antihumaine de la technologie, puisse retrouver ce qui est le
plus important et le plus nécessaire : le cœur.
II
DES GESTES ET DES PAROLES D’AMOUR
32. Le Cœur du Christ,
symbole du centre personnel d’où jaillit son amour pour nous, est le noyau
vivant de la première annonce. Là se trouve l’origine de notre foi, la source
qui donne vie aux convictions chrétiennes.
Des gestes qui reflètent le cœur
33. Le Christ n’a pas
voulu beaucoup nous expliquer son amour pour nous, mais Il l’a manifesté par
ses gestes. Nous découvrons en le voyant agir la manière dont Il nous traite
chacun, même si nous avons du mal à le percevoir. Allons donc chercher là où
notre foi peut le reconnaître : dans l’Évangile.
34. Selon l’Évangile,
Jésus est venu chez les siens (cf. Jn 1, 11). Il ne nous
traite pas comme des étrangers, par conséquent nous sommes les siens. Il nous
considère comme un bien propre sur lequel il veille avec soin, avec affection.
Il nous traite comme les siens. Cela ne signifie pas que nous serions ses
esclaves, et lui-même le dit : « Je ne vous appelle plus serviteurs » (Jn 15,
15). Il nous propose l’appartenance réciproque des amis. Il est venu, Il a
franchi toutes les distances, Il s’est fait proche de nous dans les choses les
plus simples et les plus quotidiennes de l’existence. L’autre nom qu’il porte,
“Emmanuel”, signifie en effet “Dieu avec nous”, Dieu proche de notre vie, vivant
parmi nous. Le Fils de Dieu s’est incarné et s’est « anéanti lui-même, prenant
la condition d’esclave » (Ph 2, 7).
35. Cela est manifeste
lorsque nous le voyons à l’œuvre. Il est toujours à la recherche, toujours
proche, toujours ouvert à la rencontre. Nous le contemplons s’arrêter pour
parler avec la Samaritaine au puits où elle va prendre de l’eau (cf. Jn 4,
5-7). Nous le voyons, au milieu de la nuit, rencontrer Nicodème qui a peur
d’être vu avec Lui (cf. Jn 3,1-2). Nous l’admirons se laisser
laver les pieds, sans honte, par une prostituée (cf. Lc 7,
36-50) ; dire à la femme adultère les yeux dans les yeux : je ne te condamne
pas (cf. Jn 8, 11) ; affronter l’indifférence de ses disciples
lorsqu’il dit à l’aveugle sur la route avec tendresse : « Que veux-tu que je
fasse pour toi ? » (Mc 10, 51). Le Christ montre que Dieu est
proximité, compassion et tendresse.
36. Lorsqu’Il guérit une
personne, Il préfère s’en approcher : Jésus « étendit la main et le toucha »
( Mt 8, 3). « Il lui toucha la main » ( Mt 8,15).
« Il leur toucha les yeux » ( Mt 9, 29). Il s’arrête même pour
guérir des malades avec sa propre salive (cf. Mc 7, 33), comme
une mère, afin qu’ils ne le sentent pas étranger à leur vie. « Le Seigneur
connaît la belle science des caresses. La tendresse de Dieu ne nous aime pas
avec des mots. Il s’approche de nous et, proche de nous, Il nous donne son
amour avec toute la tendresse possible ». [27]
37. Alors qu’il nous est
difficile de faire confiance, du fait que nombre de mensonges, d’agressions et
de déceptions nous ont blessés, Jésus nous murmure à l’oreille : « Aie
confiance, mon enfant » (Mt 9, 2), « Aie confiance, ma fille » (Mt 9,
22). Il nous faut vaincre la peur et réaliser que nous n’avons rien à perdre
avec Lui. À Pierre qui perd confiance, « Jésus tend la main. Il le saisit, en
lui disant : “ […] Pourquoi as-tu douté ?” » (Mt 14, 31). N’aie pas
peur. Laisse-le s’approcher de toi, laisse-le se mettre à côté de toi. Nous
pouvons douter de beaucoup de monde, mais pas de Lui. Et ne t’arrête pas à
cause de tes péchés. Rappelle-toi que de nombreux pécheurs « se sont mis à
table avec Jésus » (Mt 9, 10) et qu’Il n’a été scandalisé par aucun
d’eux. Les élites religieuses se plaignaient et le traitaient « de glouton et
d’ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs » (Mt 11, 19).
Lorsque les pharisiens critiquaient sa proximité avec les personnes considérées
comme de basse condition ou pécheresses, Jésus leur disait : « C’est la
miséricorde que je veux, et non le sacrifice » (Mt 9, 13).
38. Ce même Jésus attend
aujourd’hui que tu lui donnes la possibilité d’éclairer ton existence, de
t’élever, de te remplir de sa force. Il a dit à ses disciples, avant de mourir
: « Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai vers vous. Encore un peu de
temps et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous verrez que je vis, et vous
aussi vous vivrez » (Jn 14, 18-19). Il trouve toujours un moyen de
se manifester dans ta vie pour que tu puisses le rencontrer.
Le regard
39. L’Évangile nous
raconte qu’un homme riche vint à lui, rempli d’idéaux mais manquant de force
pour changer de vie. Alors, « Jésus fixa sur lui son regard » (Mc 10,
21). Peut-on imaginer cet instant, cette rencontre entre le regard de cet homme
et le regard de Jésus ? Lorsqu’Il t’appelle, te convoque pour une mission, Il
commence par te regarder, Il pénètre au plus profond de ton être. Il perçoit et
connaît tout ce qui est en toi, Il pose son regard sur toi : « Comme Il
cheminait sur le bord de la mer de Galilée, Il vit deux frères [...]. En
avançant plus loin et Il vit deux autres frères » (Mt 4, 18.21).
40. De nombreux textes de
l’Évangile nous montrent comment Jésus est attentif aux personnes, à leurs
préoccupations, à leurs souffrances. Par exemple : « À la vue des foules, Il en
eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés » (Mt 9, 36).
Lorsque nous avons l’impression que tout le monde nous ignore, que personne ne
s’intéresse à ce qui nous arrive, que nous n’avons d’importance pour personne,
Il nous prête attention. C’est ce qu’Il fait remarquer à Nathanaël, solitaire
et renfermé : « Avant que Philippe t’appelât, quand tu étais sous le figuier,
je t’ai vu » (Jn 1, 48).
41. C’est justement parce
qu’Il est attentif à nous qu’Il est capable de reconnaître chaque bonne
intention, chaque bonne petite action que nous faisons. L’Évangile raconte qu’«
Il vit une veuve indigente qui mettait [dans le Trésor du Temple] deux
piécettes » (Lc 21, 2) et qu’Il en fit part immédiatement à ses
apôtres. Jésus est attentif de telle sorte qu’Il admire les choses bonnes qu’Il
reconnaît en nous. Jésus est dans l’admiration lorsqu’il entend le centurion le
prier en toute confiance (cf. Mt 8, 10). Qu’il est beau de
savoir que si les autres ignorent nos bonnes intentions ou les choses positives
que nous faisons, Jésus ne les ignore pas, au contraire Il les admire.
42. En tant qu’être
humain, Il avait appris cela de Marie, sa mère. Elle, qui « conservait avec
soin toutes ces choses les méditant en son cœur » (Lc 2, 19), Lui
apprit, avec saint Joseph, dès son enfance à être attentif.
Les paroles
43. Nous avons dans les
Écritures sa Parole toujours vivante et actuelle, mais il arrive aussi que
Jésus nous parle intérieurement et nous appelle pour nous conduire au meilleur
endroit. Ce lieu le meilleur, c’est son Cœur. Il nous appelle à entrer là où
nous pouvons retrouver des forces et la paix : « Venez à moi, vous tous qui
peinez et ployez sous le fardeau, et moi, je vous soulagerai » (Mt 11,
28). C’est pourquoi Il demande à ses disciples : « Demeurez en moi » (Jn 15,
4).
44. Les paroles de Jésus
montrent que sa sainteté n’élimine pas les sentiments. Elles révèlent en
certaines occasions un amour passionné qui souffre pour nous, s’émeut,
s’afflige jusqu’aux larmes. Il est manifeste que les préoccupations et les
angoisses courantes des gens, comme la fatigue ou la faim, ne le laissent pas
indifférent : « J’ai pitié de la foule, [...] ils n’ont pas de quoi manger [...]
ils vont défaillir en route, et il y en a parmi eux qui sont venus de loin » (Mc 8,
2-3).
45. L’Évangile ne cache
pas les sentiments de Jésus à l’égard de Jérusalem, la ville bien-aimée : «
Quand Il fut proche, à la vue de la ville, Il pleura sur elle » (Lc 19,
41) et exprima son plus grand regret : « Si en ce jour tu avais compris, toi
aussi, le message de paix ! » (19, 42). Les évangélistes, tout en le montrant
parfois puissant ou glorieux, ne manquent pas de révéler ses sentiments face à
la mort et à la souffrance des amis. Avant de raconter que « Jésus pleura » (Jn 11,
35) sur le tombeau de Lazare, l’Évangile explique qu’« Il aimait Marthe et sa
sœur et Lazare » (Jn 11, 5) et que, voyant Marie et ses compagnes
pleurer, « Il frémit en son esprit et se troubla » (Jn 11, 33). Le
récit ne laisse aucun doute sur le fait qu’il s’agit de pleurs sincères
provenant d’un trouble intérieur. Enfin, l’angoisse de Jésus face à sa mort
violente de la main de ceux qu’Il aime tant n’est pas non plus cachée : « Il
commença à ressentir effroi et angoisse » (Mc 14, 33), au point de
dire : « Mon âme est triste à en mourir » (Mc 14, 34). Ce trouble
intérieur s’exprime avec toute sa force dans le cri du Crucifié : « Mon Dieu,
mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34).
46. Ce qui précède
pourrait ressembler à du romantisme religieux. Or rien n’est plus sérieux et
décisif, et trouve sa plus haute expression se trouve dans le Christ cloué sur
la croix qui est la parole d’amour la plus éloquente. Il ne s’agit pas d’une
coquille vide, d’un pur sentiment, d’une évasion spirituelle. Il s’agit
d’amour. C’est pourquoi, lorsque saint Paul cherche les mots justes pour
expliquer sa relation avec le Christ, il écrit : « Il m’a aimé et s’est livré
lui-même pour moi » (Ga 2, 20). Telle était sa plus grande
conviction : se savoir aimé. Le don de soi du Christ sur la croix l’a subjugué,
mais il n’avait de sens que parce qu’il y avait une chose encore plus grande
que ce don même : “Il m’a aimé”. Alors que nombre de personnes cherchaient leur
salut, leur bien-être ou leur sécurité dans diverses propositions religieuses,
Paul, touché par l’Esprit, a su regarder au-delà et s’émerveiller de ce qu’il y
a de plus grand et de plus fondamental : “Il m’a aimé”.
47. Après avoir contemplé
le Christ, ce que ses gestes et ses paroles laissent entrevoir de son cœur,
rappelons maintenant comment l’Église réfléchit sur le saint mystère du Cœur du
Seigneur.
III
VOICI LE CŒUR QUI A TANT AIMÉ
48. La dévotion au Cœur du
Christ n’est pas le culte d’un organe séparé de la personne de Jésus. Nous
contemplons et adorons Jésus-Christ tout entier, le Fils de Dieu fait homme,
représenté dans une image où son cœur est mis en évidence. Le cœur de chair est
considéré comme l’image ou le signe privilégié du centre le plus intime du Fils
incarné et de son amour à la fois divin et humain car, plus que tout autre
membre de son corps, il est « signe ou symbole naturel de son immense charité
». [28]
L’adoration du Christ
49. Il est indispensable
de souligner que nous sommes dans une relation d’amitié et d’adoration avec la
personne du Christ, attirés par son amour représenté par l’image de son Cœur.
Nous vénérons cette image qui le représente, mais l’adoration ne s’adresse
qu’au Christ vivant, dans sa divinité et dans toute son humanité, afin de nous
laisser étreindre par son amour humain et divin.
50. Au-delà de l’image
utilisée, il est certain que le Cœur vivant du Christ – jamais une image – est
objet d’adoration car il fait partie de son Corps très saint et ressuscité,
inséparable du Fils de Dieu qui l’a assumé pour toujours. Il est adoré en tant
que « Cœur de la personne du Verbe auquel il est inséparablement uni ». [29] Nous
ne l’adorons pas isolément mais dans la mesure où, avec ce Cœur, c’est le Fils
incarné lui-même qui vit, aime et reçoit notre amour. Par conséquent, tout acte
d’amour ou d’adoration envers son Cœur « s’adresse en réalité au Christ
Lui-même », [30] puisqu’il
renvoie spontanément à Lui et qu’il est « le symbole et l’image expresse de
l’amour infini de Jésus-Christ ». [31]
51. C’est pourquoi
personne ne doit penser que cette dévotion pourrait nous séparer ou nous
éloigner de Jésus-Christ et de son amour. De manière spontanée et directe, elle
nous oriente vers Lui, et vers Lui seul, qui nous appelle à une précieuse
amitié faite de dialogue, d’affection, de confiance et d’adoration. Ce Christ
au cœur transpercé et brûlant est le même qui est né à Bethléem par amour, qui
a parcouru la Galilée en guérissant, en caressant, en répandant la miséricorde,
le même qui nous a aimés jusqu’au bout en ouvrant les bras sur la croix. Enfin,
c’est le même qui est ressuscité et qui vit glorieusement au milieu de nous.
La vénération de son image
52. Il faut noter que
l’image du Christ avec son cœur, même si elle n’est en aucun cas objet
d’adoration, n’est pas pour autant une image parmi d’autres que nous pourrions
choisir. Elle n’a pas été inventée dans un bureau ni dessinée par un artiste. «
Elle n’est pas un symbole imaginaire, elle est un symbole réel qui représente
le centre, la source d’où a jailli le salut de l’humanité tout entière ». [32]
53. Une expérience humaine
universelle rend cette image unique. Il est en effet incontestable qu’au cours
de l’histoire et dans diverses parties du monde, le cœur est devenu le symbole
de l’intimité la plus personnelle, ainsi que de l’affection, des émotions et de
la capacité d’aimer. Au-delà de toute explication scientifique, une main posée
sur le cœur d’un ami exprime une affection particulière ; lorsqu’une personne
tombe amoureuse et qu’elle est proche de l’être aimé, les battements de son
cœur s’accélèrent ; lorsqu’une personne souffre d’abandon ou de tromperie de la
part d’un être aimé, elle ressent une forte oppression au niveau du cœur. Pour
exprimer qu’une chose est sincère et vient vraiment du centre de la personne,
on dit : “Je te le dis du fond du cœur”. Le langage poétique ne peut ignorer la
puissance de ces expériences. C’est pourquoi le cœur a acquis incontestablement
au cours de l’histoire une force symbolique unique qui n’est pas seulement
conventionnelle.
54. Il est donc
compréhensible que l’Église ait choisi l’image du cœur pour représenter l’amour
humain et divin de Jésus-Christ et le centre le plus intime de sa personne. Si
l’image d’un cœur avec des flammes de feu est un symbole éloquent nous
rappelant l’amour de Jésus-Christ, il convient cependant que ce cœur fasse
partie d’une représentation de Lui. Son appel à une relation personnelle de
rencontre et de dialogue est de cette manière plus significatif. [33] L’image
vénérée du Christ, de laquelle se détache son cœur aimant, inclut un regard qui
nous appelle à la rencontre, au dialogue et à la confiance ; des mains fortes,
capables de nous soutenir ; une bouche qui nous adresse la parole d’une manière
unique et très personnelle.
55. Le cœur a la
particularité d’être perçu non pas comme un organe séparé mais comme un centre
intime unificateur et donc comme expression de la totalité de la personne, ce
qui n’est pas le cas des autres organes du corps humain. Puisqu’il est le
centre intime de la totalité de la personne, et donc une partie représentant le
tout, il serait facile de le dénaturer en le contemplant séparément de la
figure du Seigneur. L’image du cœur doit nous renvoyer à la totalité de
Jésus-Christ en son centre unificateur et, simultanément à partir de ce centre
unificateur, elle nous doit nous amener à contempler le Christ dans toute la
beauté et la richesse de son humanité et de sa divinité.
56. Cela va au-delà de
l’attrait qu’exercent les diverses images qui ont été faites du Cœur du Christ.
On ne doit pas, en effet, « mettre notre confiance dans des images ou leur
demander quelque chose, comme le faisaient autrefois les païens », mais, « à
travers les images que nous baisons, devant lesquelles nous nous découvrons et
nous prosternons, c’est le Christ que nous adorons ». [34]
57. Par ailleurs, nous
pouvons trouver certaines de ces images peu attrayantes et invitant peu à
l’amour et à la prière. Cela est secondaire car l’image n’est rien d’autre
qu’une figure incitative et, comme diraient les Orientaux, nous ne devons pas
en rester au doigt qui montre la lune. Bien que bénie, il ne s’agit ici que
d’une image nous invitant à aller au-delà, nous incitant à élever notre cœur
jusqu’à celui du Christ vivant, et à l’unir à lui ; alors que l’Eucharistie est
présence réelle devant être adorée. L’image vénérée convoque, indique et porte,
afin de nous faire passer du temps dans la rencontre avec le Christ et dans son
adoration, comme il nous semble le mieux de l’imaginer. En regardant l’image,
nous nous mettons face au Christ et, devant Lui, « l’amour se fixe, contemple
le mystère, en profite en silence ». [35]
58. Cela dit, nous ne
devons pas oublier que cette image du cœur nous parle de chair humaine, de terre,
et donc aussi de Dieu qui a voulu entrer dans notre condition historique,
devenir histoire et partager notre cheminement terrestre. Une forme de dévotion
plus abstraite ou stylisée ne sera pas nécessairement plus fidèle à l’Évangile,
car la manière dont Dieu a voulu se révéler et se faire proche de nous se
manifeste dans ce signe sensible et accessible.
Un amour sensible
59. Amour et cœur ne sont
pas nécessairement reliés, car la haine, l’indifférence, l’égoïsme peuvent
régner dans un cœur humain. Mais nous n’atteignons pas notre pleine humanité si
nous ne sortons pas de nous-mêmes ; et nous ne devenons pas pleinement
nous-mêmes si nous n’aimons pas. Le centre le plus intime de notre personne,
créé pour l’amour, ne réalise le projet de Dieu que lorsqu’il aime. C’est
pourquoi le symbole du cœur symbolise en même temps l’amour.
60. Le Fils éternel de
Dieu, qui me transcende infiniment, a aussi voulu m’aimer avec un cœur humain.
Ses sentiments humains deviennent le sacrement d’un amour infini et définitif.
Son cœur n’est donc pas un symbole physique qui n’exprimerait qu’une réalité
purement spirituelle ou séparée de la matière. Un regard tourné vers le Cœur du
Seigneur contemple une réalité physique, sa chair humaine qui permet au Christ
d’avoir des émotions et des sentiments bien humains, comme nous, quoi
qu’entièrement transformés par son amour divin. La dévotion doit atteindre
l’amour infini de la personne du Fils de Dieu, mais nous devons dire que cet
amour est inséparable de son amour humain, et nous sommes aidés en cela par
l’image de son cœur de chair.
61. Si aujourd’hui encore
le cœur est perçu dans le sentiment populaire comme le centre affectif de tout
être humain, c’est lui qui peut le mieux signifier l’amour divin du Christ uni
pour toujours et inséparablement à son amour humain. Pie XII rappelait
déjà que la Parole de Dieu, « qui décrit les dispositions du Cœur de
Jésus-Christ, ne rend pas seulement compte de la charité divine mais aussi des
sentiments d’affection humaine [...]. Les battements du Cœur de Jésus-Christ,
uni hypostatiquement à la divine personne du Verbe, ont sans aucun doute été
inspirés par l’amour et par toutes les autres affections sensibles ». [36]
62. Chez les Pères de
l’Église, contrairement à d’autres qui niaient ou relativisaient la véritable
humanité du Christ, nous trouvons une forte affirmation de la réalité concrète
et tangible des affections humaines du Seigneur. Ainsi, saint Basile souligne
que l’incarnation n’est pas une chose imaginaire mais que « le Seigneur a pris
sur Lui les passions de la nature ». [37] Saint
Jean Chrysostome propose un exemple : « S’Il n’avait pas eu notre nature, Il
n’aurait jamais été en proie à la douleur ». [38] Saint
Ambroise affirme : « Puisqu’Il a pris une âme, Il a pris les passions de l’âme
». [39] Et
saint Augustin présente les affections humaines comme une réalité qui, une fois
assumée par le Christ, n’est plus étrangère à la vie de la grâce : « Ce qui
affecte la faiblesse humaine, comme la chair même de l’humaine faiblesse ainsi
que la mort de la chair humaine, le Seigneur Jésus l’a pris non par une
nécessité de sa condition, mais par sa volonté de miséricorde […] afin que,
s’il arrive à quelqu’un d’être affligé et de souffrir au milieux des tentations
humaines, il ne se croie pas pour autant étranger à sa grâce ». [40] Enfin,
saint Jean Damascène considère l’expérience affective réelle du Christ dans son
humanité comme un signe qu’Il a assumé notre nature dans sa totalité et non
partiellement, afin de la racheter et de la transformer entièrement. Le Christ
a donc assumé tous les éléments qui composent la nature humaine, afin que tous
soient sanctifiés. [41]
63. Il vaut la peine
d’inclure ici la réflexion d’un théologien qui reconnaît qu’ « en raison de
l’influence de la pensée grecque, la théologie a longtemps relégué le corps et
les sentiments dans le monde du pré-humain, du sous-humain ou tentateur du
véritable humain. Mais ce que la théologie n’a pas résolu en théorie a été
résolu dans la pratique par la spiritualité. Celle-ci et la religiosité
populaire ont maintenu vivante la relation avec les aspects somatiques,
psychologiques et historiques de Jésus. Les Chemins de Croix, la dévotion aux
plaies, la spiritualité du précieux sang, la dévotion au Cœur de Jésus, les
pratiques eucharistiques [...]. Tout cela a suppléé aux lacunes de la théologie
en nourrissant l’imagination et le cœur, l’amour et la tendresse pour le
Christ, l’espérance et la mémoire, le désir et la nostalgie. La raison et la
logique ont pris d’autres chemins ». [42]
Un triple amour
64. Nous n’en restons pas
cependant aux seuls sentiments humains, aussi beaux et émouvants soient-ils. En
contemplant le Cœur du Christ, nous reconnaissons que dans ses sains et nobles
sentiments, dans sa tendresse, dans le tressaillement de son affection humaine,
toute la vérité de son amour divin et infini se manifeste. Benoît XVI l’a
exprimé ainsi : « De l’horizon infini de son amour, Dieu a voulu entrer dans
les limites de l’histoire et de la condition humaine, prenant un corps et un
cœur ; si bien que nous pouvons contempler et rencontrer l’infini dans le fini,
le Mystère invisible et ineffable dans le Cœur humain de Jésus, le Nazaréen
». [43]
65. Dans l’image du Cœur
du Seigneur un triple amour est en effet représenté et nous éblouit. Tout
d’abord, l’amour divin infini qui se trouve dans le Christ. Mais nous pensons
aussi à la dimension spirituelle de l’humanité du Seigneur. De ce point de vue,
le cœur est « le symbole de cette ardente charité qui, infuse dans le Christ,
anime sa volonté humaine ». Enfin, il est « le symbole de son amour sensible
». [44]
66. Ces trois amours ne
sont pas des facultés séparées fonctionnant de manière parallèle ou sans lien,
mais elles agissent et s’expriment ensemble en un flux constant de vie : « À la
lumière de la foi, par laquelle nous croyons que les deux natures, humaine et
divine, sont unies dans la personne du Christ, notre esprit est rendu capable
de concevoir les liens très étroits qui existent entre l’amour sensible du cœur
physique de Jésus et son double amour spirituel, l’humain et le divin ». [45]
67. C’est pourquoi, en
entrant dans le Cœur du Christ, nous nous sentons aimés par un cœur humain,
plein d’affections et de sentiments comme le nôtre. Sa volonté humaine veut
nous aimer librement, et cette volonté spirituelle est pleinement illuminée par
la grâce et la charité. Lorsque nous atteignons les profondeurs de ce Cœur,
nous sommes inondés par la gloire incommensurable de son amour infini de Fils
éternel que nous ne pouvons plus séparer de son amour humain. C’est précisément
dans son amour humain, et non pas en nous en éloignant, que nous trouvons son
amour divin : nous trouvons « l’infini dans le fini ». [46]
68. L’Église enseigne de
manière constante et définitive que l’adoration que nous rendons à sa personne
est unique et englobe inséparablement sa nature divine et sa nature humaine.
Depuis les temps anciens, elle a enseigné que nous devons « adorer un seul et
même Christ, Fils de Dieu et Fils d’homme, de deux natures et en deux natures
inséparables et indivisées » ; [47] et
cela d’ « une seule adoration [… ] selon que le Verbe s’est fait chair ». [48] Le
Christ n’est en aucune manière adoré en deux natures, à partir de quoi seraient
introduites deux adorations, mais « d’une seule adoration le Dieu Verbe incarné
avec sa propre chair » est adoré. [49]
69. Saint Jean de la Croix
exprime que, dans l’expérience mystique, l’amour incommensurable du Christ
ressuscité n’est pas ressenti comme étranger à notre vie. L’infini s’abaisse en
quelque sorte pour que, à travers le Cœur ouvert du Christ, nous puissions
vivre une rencontre d’amour vraiment réciproque : « Il est croyable qu’un
oiseau qui vole terre à terre prenne la haute Aigle royale, si [celle-ci]
descend en bas, voulant être prise ». [50] Et
il explique que, « voyant l’Épouse navrée de son amour, Il accourt à sa
plainte, étant aussi blessé de son amour, parce qu’en matière de personnes
éprises d’amour, la blessure de l’une est commune à l’autre et ils éprouvent à
eux deux une commune souffrance ». [51] Ce
mystique comprend la figure du côté blessé du Christ comme un appel à la pleine
union avec le Seigneur. Il est le cerf blessé du fait que nous ne nous sommes
pas encore laissés toucher par son amour. Il descend aux cours d’eau pour
étancher sa soif et trouve le réconfort chaque fois que nous nous tournons vers
lui :
« Reviens, colombe,
Car sur le sommet des monts
Apparaît le cerf blessé,
Savourant la brise fraîche de ton vol ». [52]
Perspectives trinitaires
70. La dévotion au Cœur de
Jésus est nettement christologique. Il s’agit d’une contemplation directe du
Christ qui nous invite à l’union avec Lui. Cela est légitime si nous gardons à
l’esprit ce que demande la Lettre aux Hébreux : courir notre course « fixant
nos yeux sur Jésus » (12, 2). Cependant, nous ne pouvons pas ignorer que Jésus
se présente en même temps comme le chemin vers le Père : « Je suis le chemin
[...]. Nul ne vient au Père que par moi » ( Jn 14, 6). Il veut
nous conduire au Père. On comprend pourquoi la prédication de l’Église, et cela
dès les origines, ne nous arrête pas à Jésus-Christ, mais nous conduit au Père.
C’est Lui qui, en fin de compte, doit être glorifié en tant que plénitude
originelle. [53]
71. Attardons-nous, par
exemple, sur la Lettre aux Éphésiens où nous lisons avec force et clarté
comment notre adoration s’adresse au Père : « Je fléchis les genoux en présence
du Père » ( Ep 3, 14). « Un seul Dieu et Père de tous, qui est
au-dessus de tous, par tous et en tous » ( Ep 4, 6). « En tout
temps et à tout propos, rendez grâces à Dieu le Père » ( Ep 5,
20). Le Père est celui « pour qui nous sommes faits » ( 1 Co 8,
6). C’est pourquoi saint Jean-Paul II déclare que « toute la vie chrétienne est
comme un grand pèlerinage vers la maison du Père ». [54] Saint
Ignace d’Antioche fait l’expérience de cela sur le chemin du martyre : « En moi
une eau vive murmure et dit au dedans de moi : Viens vers le Père ». [55]
72. Le Père est avant tout
le Père de Jésus-Christ : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus
Christ » ( Ep 1, 3). Il est « le Dieu de notre Seigneur Jésus
Christ, le Père le la gloire » ( Ep 1, 17). Lorsque le Fils se
fait homme, tous les désirs et les aspirations de son cœur humain se tournent
vers le Père. Observant comment le Christ se rapportait au Père, nous
remarquons la fascination de son cœur humain, son orientation parfaite et
constante vers le Père. [56] Sa
vie sur cette terre a consisté en un parcours où il a ressenti, dans son cœur
d’homme, un appel incessant à aller vers le Père. [57]
73. Nous savons qu’Il
s’adressait au Père avec le mot araméen “Abba”, c’est-à-dire “papa”. À
l’époque, certains furent gênés par cette familiarité (cf. Jn 5,
18). C’est l’expression que Jésus a utilisée pour communiquer avec le Père
lorsque l’angoisse de la mort est apparue : « Abba ! tout t’est possible,
éloigne de moi cette coupe, pourtant pas ce que je veux, mais ce que tu veux !
» (Mc 14, 36). Il s’est toujours reconnu aimé du Père : « Tu m’as
aimé avant la fondation du monde » (Jn 17, 24). Et Jésus, dans son
cœur d’homme, s’extasiait en entendant le Père lui dire : « Tu es mon Fils
bien-aimé, tu as toute ma faveur » (Mc 1, 11).
74. Le quatrième Évangile
dit que le Fils éternel est tourné vers « le sein du Père » (1, 18) depuis
toujours. [58] Saint
Irénée affirme que « le Fils de Dieu existe depuis toujours auprès du Père
». [59] Et
Origène soutient que le Fils demeure « dans la contemplation ininterrompue de
l’abysse paternelle ». [60] C’est
pourquoi, lorsque le Fils se fait homme, il passe des nuits entières à
converser avec le Père bien-aimé sur le sommet de la montagne (cf. Lc 6,
12). Il dit : « Je dois être dans la maison de mon Père ? » ( Lc 2,
49). Regardons sa louange : « Il tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit
Saint, et dit : “Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre” » ( Lc 10,
21). Et ses dernières paroles, pleines de confiance, sont : « Père, entre tes
mains je remets mon esprit » ( Lc 23, 46).
75. Tournons maintenant
notre regard vers l’Esprit Saint qui remplit le Cœur du Christ et brûle en lui.
Comme l’a dit saint Jean-Paul II,
le Cœur du Christ est « le chef-d’œuvre de l’Esprit Saint ». [61] Il
ne s’agit pas seulement du passé, car « dans le Cœur du Christ, est vivante
l’action de l’Esprit Saint, auquel Jésus a attribué l’inspiration de sa mission
(cf. Lc 4, 18 ; Is 61, 1) et dont il avait
promis l’envoi lors de la dernière Cène. C’est l’Esprit qui aide à saisir la
richesse du signe du côté transpercé du Christ, dont l’Église est issue (cf.
Const. Sacrosanctum Concilium,
n. 5) ». [62] En
définitive, « seul l’Esprit Saint peut ouvrir devant nous cette plénitude de
“l’homme intérieur” qui se trouve dans le Cœur du Christ. Lui seul peut
introduire progressivement la force de cette plénitude dans nos cœurs humains
». [63]
76. Essayant de pénétrer
le mystère de l’action de l’Esprit, nous voyons qu’Il gémit en nous et
dit Abba : « La preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu
a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! » (Ga 4,
6). En effet, « l’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que
nous sommes enfants de Dieu » (Rm 8, 16). L’action de l’Esprit
Saint dans le cœur humain du Christ provoque en permanence cette attirance vers
le Père. Et lorsqu’il nous unit aux sentiments du Christ par la grâce, il nous
fait participer à la relation de celui-ci avec le Père, il est « un esprit de
fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! » (Rm 8,
15).
77. Notre relation avec le
Cœur du Christ se transforme alors sous l’impulsion de l’Esprit qui nous
oriente vers le Père, source paternelle de la vie et origine suprême de la
grâce. Le Christ ne désire pas que nous nous arrêtions à Lui. L’amour du Christ
est une « révélation de la miséricorde du Père ». [64] Son
désir est que, poussés par l’Esprit qui jaillit de son cœur, « avec Lui et en
Lui » nous allions vers le Père. La gloire est adressée au Père « par » le
Christ, [65] «
avec » le Christ [66] et
« dans » le Christ. [67] Saint
Jean-Paul II a enseigné que « le Cœur du Sauveur nous invite à remonter à
l’amour du Père qui est la source de tout amour authentique ». [68] C’est
précisément cela que l’Esprit Saint cherche à cultiver dans nos cœurs en venant
à nous à partir du Cœur du Christ. C’est pourquoi la liturgie, sous l’action
vivifiante de l’Esprit, se tourne toujours vers le Père à partir du cœur
ressuscité du Christ.
Expressions magistérielles
récentes
78. Le Cœur du Christ est
présent de différentes manières dans l’histoire de la spiritualité chrétienne.
Dans la Bible et dans les premiers siècles de l’Église, il apparait sous la
forme du côté blessé du Seigneur, comme source de grâce ou bien comme appel à une
rencontre intime d’amour. Il ne cesse de réapparaître dans le témoignage de
nombreux saints jusqu’à nos jours. Au cours des derniers siècles, cette
spiritualité a pris la forme d’un véritable culte du Cœur du Seigneur.
79. Nombre de mes
prédécesseurs ont évoqué le Cœur du Christ et, de manières très diverses, nous
ont invités à nous unir à Lui. À la fin du XIX ème siècle, Léon XIII nous
invita à nous consacrer à Lui, unissant dans sa proposition l’invitation à
l’union avec le Christ à l’admiration de la splendeur de son amour
infini. [69] Une
trentaine d’années plus tard, Pie XI présenta
cette dévotion comme une synthèse de l’expérience de foi chrétienne. [70] Pie XII affirma
ensuite que le culte du Sacré-Cœur exprime de manière excellente, en une
sublime synthèse, notre culte envers Jésus-Christ. [71]
80. Plus récemment, saint Jean-Paul II a
présenté le développement de ce culte au cours des siècles passés comme une
réponse à la croissance de formes de spiritualités rigoristes et désincarnées
qui oubliaient la miséricorde du Seigneur, mais aussi comme un appel actuel à
un monde qui cherche à se construire sans Dieu : « La dévotion au Sacré-Cœur,
telle qu’elle s’est développée en Europe il y a deux siècles, sous l’impulsion
des expériences mystiques de sainte Marguerite-Marie Alacoque, a été une
réponse au rigorisme janséniste qui avait fini par ignorer la miséricorde infinie
de Dieu. [...] L’homme de l’an 2000 a besoin du Cœur du Christ pour connaître
Dieu et se connaître lui-même ; il en a besoin pour construire la civilisation
de l’amour ». [72]
81. Benoît XVI a
invité à reconnaître le Cœur du Christ comme une présence intime et quotidienne
dans la vie de chacun : « Toute personne a besoin d’avoir un “centre” dans sa
vie, une source de vérité et de bonté à laquelle puiser pour affronter les
diverses situations et difficultés de la vie quotidienne. Chacun de nous,
lorsqu’il fait silence, a besoin d’entendre non seulement les battements de son
propre cœur, mais aussi, plus profondément, les battements d’une présence sûre,
perceptible avec les sens de la foi et pourtant bien plus réelle : la présence
du Christ, cœur du monde ». [73]
Approfondissement et actualité
82. L’image symbolique et
expressive du Cœur du Christ n’est pas l’unique moyen que nous donne l’Esprit
Saint pour rencontrer l’amour du Christ ; et elle aura toujours besoin d’être
enrichie, éclairée et renouvelée par la méditation, la lecture de l’Évangile et
la maturation spirituelle. Pie XII disait
déjà que l’Église ne prétend pas que « dans le Cœur de Jésus l’on doive voir et
adorer l’image dite formelle, c’est‑à‑dire le signe parfait et absolu de son
amour divin, puisqu’il n’est pas possible d’en représenter l’essence intime
d’une façon adéquate par une quelconque image créée ». [74]
83. La dévotion au Cœur du
Christ est essentielle à notre vie chrétienne car elle signifie notre
ouverture, pleine de foi et d’adoration, au mystère de l’amour divin et humain
du Seigneur, au point que nous pouvons affirmer une fois de plus que le
Sacré-Cœur est une synthèse de l’Évangile. [75] Nous
devons rappeler que les croyants ne sont pas obligés de croire, comme s’il
s’agissait de la Parole de Dieu, aux visions ou manifestations mystiques
racontées par les saints qui ont proposé avec passion la dévotion au Cœur du
Christ. [76] Ce
sont de beaux stimuli qui peuvent motiver et faire beaucoup de bien, mais
personne ne doit se sentir obligé de les suivre s’il ne trouve pas qu’ils
l’aident à avancer dans sa vie spirituelle. Cependant, il est important de
garder à l’esprit, comme Pie XII l’a
déclaré, que l’on ne peut pas dire que ce culte « viendrait d’une révélation
privée ». [77]
84. La proposition de la
Communion eucharistique des premiers vendredis du mois, par exemple, était un
message fort à une époque où de nombreuses personnes cessaient de recevoir la
Communion parce qu’elles n’avaient pas confiance dans le pardon divin, dans sa
miséricorde, et considéraient la Communion comme une sorte de prix pour les
parfaits. Dans ce contexte janséniste, la promotion de cette pratique a fait
beaucoup de bien, en aidant à reconnaître dans l’Eucharistie l’amour proche et
gratuit du Cœur du Christ qui nous appelle à l’union avec Lui. Elle ferait
beaucoup de bien également aujourd’hui pour une autre raison : parce qu’au
milieu du tourbillon du monde actuel et de notre obsession pour les loisirs, la
consommation et le divertissement, les téléphones et les réseaux sociaux, nous
oublions de nourrir notre vie de la force de l’Eucharistie.
85. De même, personne ne
doit se sentir obligé de faire une heure d’adoration le jeudi. Mais comment ne
pas la recommander ? Lorsque quelqu’un vit cette pratique avec ferveur, avec de
nombreux frères, et qu’il trouve dans l’Eucharistie l’amour du Cœur du Christ,
« il adore avec l’Église le symbole et comme l’empreinte de la charité divine
qui a été jusqu’à aimer le genre humain avec le Cœur du Verbe Incarné ». [78]
86. Cela était difficile à
comprendre pour de nombreux jansénistes qui méprisaient tout ce qui était
humain, affectif, corporel, et qui considéraient en fin de compte que cette dévotion
nous éloigne de la pure adoration du Dieu du Très-Haut. Pie XII qualifia
de « faux mysticisme » [79] cette
attitude élitiste de certains groupes qui voyaient Dieu tellement haut,
tellement séparé, tellement distant, qu’ils considéraient les expressions
sensibles de la piété populaire comme dangereuses et nécessitant un contrôle
ecclésiastique.
87. Plus encore qu’avec le
jansénisme, on peut dire que nous sommes confrontés aujourd’hui à une forte
avancée de la sécularisation qui aspire à un monde libéré de Dieu. En outre,
diverses formes de religiosité privées de références à une relation personnelle
avec un Dieu d’amour se multiplient dans la société, et sont de nouvelles
manifestations d’une “spiritualité sans chair”. Cela est vrai. Mais je dois
souligner qu’un dualisme janséniste préjudiciable renaît sous de nouveaux
traits au sein même de l’Église. Il a acquis une nouvelle force au cours des
dernières décennies. Il est une manifestation de ce gnosticisme qui ignorait la
vérité du “salut de la chair” et qui fut dommageable à la spiritualité des
premiers siècles de la foi chrétienne. C’est pourquoi je tourne mon regard vers
le Cœur du Christ et je vous invite à renouveler votre dévotion. J’espère
qu’elle pourra aussi toucher la sensibilité contemporaine et nous aider à faire
face à ces dualismes anciens et nouveaux auxquels elle offre une réponse
adéquate.
88. Je voudrais ajouter
que le Cœur du Christ nous libère en même temps d’un autre dualisme : celui des
communautés et des pasteurs qui se concentrent uniquement sur les activités
extérieures, les réformes structurelles dépourvues d’Évangile, les
organisations obsessionnelles, les projets mondains, les réflexions
sécularisées, les propositions qui se présentent comme des prescriptions que
l’on veut parfois imposer à tous. Il en résulte souvent un christianisme qui
oublie la tendresse de la foi, la joie du dévouement au service, la ferveur de
la mission de personne à personne, la fascination pour la beauté du Christ, la
gratitude passionnée pour l’amitié qu’Il offre et pour le sens ultime qu’Il
donne à la vie. Il s’agit d’une autre forme de transcendantalisme trompeur,
tout aussi désincarné.
89. Ce sont ces maladies
très actuelles, dont nous ne ressentons même pas le désir de guérir lorsque
nous nous sommes laissés piéger, qui me poussent à proposer à toute l’Église un
nouveau développement sur l’amour du Christ représenté dans son saint Cœur. Là
nous rencontrons la totalité de l’Évangile, là se résume la vérité à laquelle
nous croyons, là se trouve ce que nous adorons et cherchons dans la foi, là se
trouve ce dont nous avons le plus besoin.
90. Devant le Cœur du
Christ il est possible de revenir à la synthèse incarnée de l’Évangile et de
vivre ce que je proposais il y a peu, en rappelant la chère sainte Thérèse de
l’Enfant Jésus : « L’attitude la plus appropriée est de placer la confiance du
cœur hors de soi-même, en la miséricorde infinie d’un Dieu qui aime sans
limites et qui a tout donné sur la Croix de Jésus-Christ ». [80] Elle
a vécu cela intensément parce qu’elle avait découvert dans le cœur du Christ
que Dieu est amour : « À moi Il a donné sa Miséricorde infinie, et c’est à
travers elle que je contemple et adore les autres perfections Divines ». [81] C’est
pourquoi la prière la plus populaire, adressée comme une flèche au Cœur du
Christ, dit simplement : « J’ai confiance en toi ». [82] Aucune
autre parole n’est nécessaire.
91. Dans les chapitres
suivants, nous allons souligner deux aspects fondamentaux que la dévotion au
Sacré-Cœur doit réunir aujourd’hui pour continuer à nous nourrir et à nous
rapprocher de l’Évangile : l’expérience spirituelle personnelle et l’engagement
communautaire et missionnaire.
IV
L’AMOUR QUI DONNE À BOIRE
92. Revenons aux Saintes
Écritures, les textes inspirés qui sont le lieu principal où nous trouvons la
Révélation. En elles et dans la Tradition vivante de l’Église, se découvre ce
que le Seigneur lui-même a voulu nous dire tout au long de l’histoire. À la
lecture des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, nous recueillerons
quelques-uns des effets de cette Parole au cours du long cheminement spirituel
du Peuple de Dieu.
Soif de l’amour de Dieu
93. Selon la Bible, une
abondance d’eau vivifiante était annoncée au peuple errant dans le désert et
attendant la délivrance : « Dans l’allégresse vous puiserez de l’eau aux
sources du salut » (Is 12, 3). Les annonces messianiques prennent
la forme d’une source d’eau purificatrice : « Je répandrai sur vous une eau
pure, et vous serez purifiés [...]. Je mettrai en vous un esprit nouveau » (Ez 36,
25-26). Cette eau redonnera au peuple une plénitude d’existence, telle une
source qui jaillira du Temple et répandra la vie et la santé sur son passage :
« Voici qu’au bord du torrent il y avait une quantité d’arbres de chaque côté
[...]. Partout où passera le torrent, tout être vivant qui y fourmille vivra
[...] car là où cette eau pénètre, elle assainit, et la vie se développe
partout où va le torrent » (Ez 47, 7. 9).
94. La fête juive des
Tentes ( Souccot), qui commémorait les quarante années passées dans
le désert, avait progressivement pris le symbole de l’eau comme élément
central, avec le rite d’une offrande d’eau chaque matin qui devenait très
solennel le dernier jour de la fête : une grande procession se rendait au
Temple où, à la fin, on faisait sept fois le tour de l’autel, et l’eau était
offerte à Dieu au milieu d’un grand vacarme. [83]
95. L’annonce des temps
messianiques se présentait comme une source ouverte pour le peuple : « Je
répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem un esprit de
grâce et de supplication, et ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont
transpercé [...]. En ce jour-là, il y aura une fontaine ouverte pour David et
pour les habitants de Jérusalem, pour laver péché et souillure » (Za 12,
10 ; 13, 1).
96. Un côté transpercé,
une fontaine ouverte, un esprit de grâce et de prière. Les premiers chrétiens
ont inévitablement vu cette promesse s’accomplir dans le côté transpercé du
Christ, la source d’où jaillit la vie nouvelle. En parcourant l’Évangile de
Jean, nous voyons comment la prophétie s’est accomplie dans le Christ. Nous
contemplons son côté ouvert d’où jaillit l’eau de l’Esprit : « Un des soldats,
de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau » (Jn 19,
34). L’évangéliste ajoute ensuite : « Ils regarderont celui qu’ils ont
transpercé » (Jn 19, 37). Il reprend ainsi l’annonce du prophète
qui promettait au peuple une source ouverte à Jérusalem lorsqu’ils
regarderaient celui qu’ils auraient transpercé (cf. Za 12,
10). La source ouverte, c’est le côté blessé de Jésus-Christ.
97. Nous constatons que
l’Évangile situe ce moment sacré précisément « le dernier jour de la fête » des
Tentes (Jn 7, 37). Jésus proclame au peuple qui célèbre la grande
procession : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. […] De
son sein couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7, 37.38). C’est
pour cela que son « heure » devait venir, car Jésus « n’avait pas encore été
glorifié » (Jn 7, 39). Tout s’accomplira dans la fontaine
débordante de la Croix.
98. Dans le livre de
l’Apocalypse, le Transpercé réapparaît : « Chacun le verra, même ceux qui l’ont
transpercé » (Ap 1, 7) ; tout comme la fontaine ouverte : « Que
l’homme assoiffé s’approche, que l’homme de désir reçoive l’eau de la vie,
gratuitement » (Ap 22, 17).
99. Le côté transpercé est
en même temps le siège de l’amour, un amour que Dieu a déclaré à son peuple
avec des paroles si variées qu’il vaut la peine de les rappeler :
« Tu comptes beaucoup à mes yeux,
tu as du prix et je t’aime » (Is 43, 4).
« Une femme oublie-t-elle son
petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles? Même si les
femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas. Vois, je t’ai gravée sur les
paumes de mes mains » (Is 49, 15-16).
« Les montagnes peuvent s’écarter
et les collines chanceler, mon amour ne s’écartera pas de toi, mon alliance de
paix ne chancellera pas » (Is 54, 10).
« D’un amour éternel je t’ai
aimée, aussi t’ai-je maintenu ma faveur » (Jr 31, 3).
« Ton Dieu est au milieu de toi,
héros sauveur ! Il exultera pour toi de joie, il te renouvellera par son amour
; il dansera pour toi avec des cris de joie » (So 3, 17).
100. Le prophète Osée va
jusqu’à parler du cœur de Dieu qui « les menait avec des attaches humaines,
avec des liens d’amour » (Os 11, 4). À cause de cet amour méprisé,
il pouvait dire : « Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles
frémissent » (Os 11, 8). Mais la miséricorde l’emportera toujours
(cf. Os 11, 9), elle atteindra sa plus haute expression dans
le Christ, parole ultime d’amour.
101. Dans le Cœur
transpercé du Christ se concentrent, inscrites dans la chair, toutes les
expressions d’amour des Écritures. Il ne s’agit pas d’un amour simplement
déclaré, mais son côté ouvert est source de vie pour celui qui est aimé, il est
cette fontaine qui étanche la soif de son peuple. Comme l’a enseigné saint Jean-Paul II,
« les éléments essentiels de cette dévotion appartiennent aussi de façon
permanente à la spiritualité de l’Église au long de son histoire ; car, dès le
début, l’Église a porté son regard vers le Cœur du Christ transpercé sur la
croix ». [84]
Résonances de la Parole dans
l’histoire
102. Voyons quelques-uns
des effets que cette Parole de Dieu a produits dans l’histoire de la foi
chrétienne. Plusieurs Pères de l’Église, particulièrement en Asie Mineure, ont
mentionné la blessure du côté de Jésus comme l’origine de l’eau de l’Esprit :
la Parole, sa grâce et les sacrements qui la communiquent. La force des martyrs
provient de la « source de vie qui jaillit du corps du Christ » [85] ou,
comme le traduit Rufin, des « sources célestes et éternelles qui sortent du
sein du Christ ». [86] Nous,
les croyants qui sommes renés de l’Esprit, nous venons de cette grotte du
rocher : « Nous avons été extraits du sein du Christ ». [87] Son
côté blessé, que nous interprétons comme son cœur, est rempli de l’Esprit
Saint, et des fleuves d’eau vive proviennent de lui : « La source de l’Esprit
saint tout entier demeure dans le Christ ». [88] Mais
l’Esprit que nous recevons ne nous éloigne pas du Seigneur ressuscité, au
contraire il nous remplit de Lui, car en buvant l’Esprit, nous buvons le Christ
lui-même : « Bois le Christ car Il est le rocher d’où l’eau a coulé, bois le
Christ car Il est la source de la vie ; bois le Christ car Il est le fleuve
dont le jaillissement réjouit la cité de Dieu ; bois le Christ car Il est la
paix ; bois le Christ car de son sein coulent des fleuves d’eau vive ». [89]
103. Saint Augustin a
ouvert la voie à la dévotion au Sacré-Cœur en tant que lieu de rencontre
personnelle avec le Seigneur. Pour lui, la poitrine du Christ n’est pas
seulement la source de la grâce et des sacrements, mais elle la personnalise en
la présentant comme symbole de l’union intime avec Lui, comme lieu de la
rencontre d’amour. Là se trouve l’origine de la sagesse la plus précieuse qui
consiste à Le connaître. Augustin écrit en effet que Jean, le bien-aimé,
lorsqu’il pencha la tête sur la poitrine de Jésus, s’approcha du lieu secret de
la sagesse. [90] Il
ne s’agit pas de la simple contemplation intellectuelle d’une vérité
théologique. Saint Jérôme explique qu’une personne capable de contempler « ne
jouit pas de la beauté des cours d’eau, mais boit l’eau vive du côté du
Seigneur ». [91]
104. Saint Bernard reprend
le symbolisme du côté transpercé du Seigneur en le comprenant explicitement
comme une révélation et un don de l’amour de son Cœur. À travers la blessure,
le grand mystère de l’amour et de la miséricorde devient accessible et nous
pouvons le faire nôtre : « Je prends avec confiance ce qui me manque dans les
entrailles du Seigneur, car elles débordent de miséricorde et ne manquent pas
d’ouverture par où jaillir. Ils lui ont percé les mains et les pieds, et ils
lui ont perforé le côté. À travers ces fissures, je peux boire le miel du
rocher et l’huile de la pierre la plus dure, autrement dit goûter et
voir comme est bon le Seigneur [...]. Le fer a transpercé son âme, et
son cœur s’est fait proche : il n’est plus incapable de comprendre mes
faiblesses. Les blessures ouvertes dans son corps nous révèlent le secret de
son cœur, elles nous font contempler le grand mystère de la compassion ». [92]
105. Ceci réapparaît de
manière particulière chez Guillaume de Saint-Thierry qui nous invite à entrer
dans le Cœur de Jésus nous nourrissant à son sein. [93] Ce
n’est pas surprenant si l’on se souvient que, pour cet auteur, « l’art des arts
c’est l’art de l’amour […]. L’amour est suscité par le Créateur de la nature.
L’amour est une force de l’âme qui, comme par un poids naturel, la conduit à sa
place et à son but ». [94] Le
cœur du Christ est le lieu où l’amour règne en plénitude : « Seigneur, où
conduis-tu ceux que tu embrasses et serres dans tes bras, sinon à ton cœur ?
Ton cœur, Jésus, est la douce manne de ta divinité (cf. He 9,
4) que tu conserves en toi dans le vase d’or de ton âme qui dépasse toute
connaissance. Heureux ceux qui y sont portés par ton étreinte. Heureux ceux
qui, plongés dans ces profondeurs, ont été cachés par Toi dans le secret de ton
cœur ». [95]
106. Saint Bonaventure
réunit les deux lignes spirituelles autour du Cœur du Christ. Tout en le
présentant comme la source des sacrements et de la grâce, il propose que cette
contemplation devienne une relation d’amitié, une rencontre personnelle
d’amour.
107. D’un côté, il
nous aide à reconnaître la beauté de la grâce et des sacrements qui jaillissent
de cette source de vie qu’est le côté blessé du Seigneur : « Afin que, du côté
du Christ endormi sur la Croix, l’Église soit formée et que s’accomplisse
l’Écriture qui dit : “Ils verront Celui qu’ils ont transpercé”, il fut
accordé, par une disposition divine, qu’un des soldats ouvrit de sa lance ce
côté sacré et le perfora entièrement, au point de faire couler le sang et l’eau
en répandant le prix de notre salut qui, depuis la source – le secret de son
cœur –, donnerait à profusion leur puissance aux sacrements de l’Église pour
conférer la vie de la grâce, et serait désormais, pour ceux qui vivraient dans
le Christ, une coupe [puisée à] la source vive qui jaillit pour la vie
éternelle ». [96]
108. Il nous invite
ensuite à faire un pas de plus afin que l’accès à la grâce ne devienne pas une
chose magique, ni une sorte d’émanation néo-platonicienne, mais une relation
directe avec le Christ en demeurant dans son cœur. En effet, celui qui boit est
un ami du Christ, un cœur qui aime : « Lève-toi donc, âme amie du Christ et sois
la colombe qui fait son nid dans le mur d’une grotte, sois le moineau qui a
trouvé une maison et ne cesse de la garder, sois la tourterelle qui cache les
petits de son chaste amour dans cette ouverture sacrée ». [97]
La diffusion de la dévotion au
Cœur du Christ
109. Le côté blessé, où
réside l’amour du Christ et d’où jaillit la vie de la grâce a, peu à peu, pris
la forme du cœur, surtout dans la vie monastique. Nous savons que le culte du
Cœur du Christ ne s’est pas manifesté de la même manière au cours de l’histoire
et que les aspects développés à l’époque moderne, liés à diverses expériences
spirituelles, ne peuvent être extrapolés des formes médiévales et encore moins
des formes bibliques dans lesquelles nous pouvons entrevoir des germes de ce
culte. Cependant, l’Église aujourd’hui ne néglige rien du bien que l’Esprit
Saint nous a donné au cours des siècles, sachant qu’il sera toujours possible
de reconnaître un sens plus clair et plus complet à certains détails de la
dévotion, ou d’en comprendre et d’en dévoiler de nouveaux aspects.
110. Plusieurs
saintes femmes ont raconté des expériences de rencontre avec le Christ,
caractérisées par le repos dans le Cœur du Seigneur, source de vie et de paix
intérieure. C’est le cas de sainte Lutgarde, de sainte Mechtilde de Hackeborn,
de sainte Angèle de Foligno, de Julienne de Norwich, entre autres. Sainte
Gertrude de Helfta, moniale cistercienne, a raconté un moment de prière au
cours duquel elle posa sa tête sur le Cœur du Christ et entendit ses
battements. Dans un dialogue avec saint Jean l’Évangéliste, elle lui demande
pourquoi il n’a pas parlé dans son Évangile de ce qu’il avait ressenti
lorsqu’il avait fait la même expérience. Gertrude conclut que « la douce
éloquence de ces battements est réservée aux temps actuels, afin qu’en les
écoutants le monde, déjà vieilli et engourdi dans son amour envers Dieu, puisse
retrouver sa ferveur ». [98] Pourrions-nous
y voir une affirmation pour notre époque, un appel à reconnaître combien ce
monde est devenu “vieux” et a besoin de percevoir le message toujours nouveau
de l’amour du Christ ? Sainte Gertrude et sainte Mechtilde ont été considérées
comme les « confidentes les plus intimes du Sacré-Cœur ». [99]
111. Les chartreux,
encouragés surtout par Ludolphe de Saxe, ont trouvé dans la dévotion au
Sacré-Cœur un moyen de remplir d’affection et de proximité leur relation avec
Jésus-Christ. Celui qui entre par la blessure de son cœur est enflammé
d’affection. Sainte Catherine de Sienne écrivait qu’on ne peut être témoin des
souffrances endurées par le Seigneur, mais le Cœur ouvert du Christ nous offre
la possibilité d’une rencontre réelle et personnelle avec beaucoup d’amour : «
J’ai voulu que vous voyiez le secret de mon cœur, en vous le montrant ouvert
afin que vous voyiez que je vous aimais plus que ne pouvait le montrer la
souffrance finie ». [100]
112. La dévotion au Cœur
du Christ a progressivement dépassé la vie monastique et a rempli la
spiritualité de saints maîtres, prédicateurs et fondateurs de congrégations
religieuses qui l’ont répandue dans les régions les plus reculées de la
terre. [101]
113. L’initiative de saint
Jean Eudes est particulièrement intéressante. « Après avoir mené avec ses
missionnaires, à Rennes, une mission très fervente, il réussit à faire
approuver par l’évêque de ce diocèse la célébration de la fête du Cœur adorable
de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’était la première fois que cette fête était
officiellement autorisée dans l’Église. Par la suite, les évêques de Coutances,
d’Évreux, de Bayeux, de Lisieux et de Rouen autorisèrent la même fête pour
leurs diocèses respectifs entre 1670 et 1671 ». [102]
Saint François de Sales
114. À l’époque moderne,
la contribution de saint François de Sales est à souligner. Il a souvent
contemplé le Cœur ouvert du Christ qui nous invite à y demeurer dans une
relation personnelle d’amour où les mystères de la vie sont éclairés. On peut
voir dans la pensée de ce saint Docteur comment, face à une morale rigoriste et
à une religiosité de simple observance, le Cœur du Christ se présente comme un
appel à la pleine confiance en l’action mystérieuse de sa grâce. Il l’exprime
ainsi dans une proposition à la Baronne de Chantal : « Il m’est bien d’avis que
nous ne demeurerons plus en nous-mêmes, […] nous nous logerons pour jamais dans
le côté percé du Sauveur ; car, sans lui, non seulement nous ne pouvons, mais
quand nous pourrions, nous ne voudrions rien faire ». [103]
115. Pour lui, la dévotion
est loin de devenir une forme de superstition ou une objectivation indue de la
grâce ; elle est une invitation à la relation personnelle où chaque personne se
sent unique devant le Christ, prise en compte dans sa réalité irremplaçable,
pensée par le Christ et valorisée de manière directe et exclusive : « Ce cœur
très adorable et très aimable de notre Maître tout ardent de l’amour qu’Il nous
porte, cœur auquel nous verrons tous nos noms inscrits […]. Ce sera un sujet de
très grande consolation que nous soyons si chèrement aimés de Notre Seigneur
qu’Il nous porte toujours en son cœur ». [104] Ce
nom propre écrit dans le Cœur du Christ est la manière dont Saint François de
Sales veut symboliser jusqu’à quel point l’amour du Christ pour chacun n’est
pas générique ni abstrait, mais personnel, où le croyant se sent valorisé et
reconnu pour lui-même : « Que ce Ciel est beau maintenant que le Sauveur y sert
de soleil, et la poitrine d’icelui d’une source d’amour de laquelle les
bienheureux boivent à souhait ! Chacun se va regarder là-dedans et y voit son
nom écrit d’un caractère d’amour que le seul amour peut lire, et que le seul
amour a gravé. Dieu, ma chère fille, les nôtres n’y seront-ils pas ? Si seront
sans doute ; car bien que notre cœur n’a pas l’amour, il y a néanmoins le désir
de l’amour ». [105]
116. Il considère cette
expérience comme fondamentale pour une vie spirituelle qui place cette
conviction parmi les grandes vérités de la foi : « Oui, ma très chère fille, Il
pense en vous ; et non seulement en vous, mais au moindre cheveu de votre tête
: c’est un article de foi et n’en faut nullement douter ». [106] La
conséquence est que le croyant devient capable de s’abandonner complètement
dans le Cœur du Christ où il trouve repos, consolation et force : « Ô Dieu !
Quel bonheur d’être ainsi entre les bras et les mamelles du Sauveur. […]
Demeurez ainsi, chère fille ; et comme un autre petit saint Jean, tandis que
les autres mangent à la table du Sauveur diverses viandes, reposez et penchez
par une toute simple confiance votre tête, votre âme, votre esprit sur la
poitrine amoureuse de ce cher Seigneur ». [107] «
J’espère que vous serez dans la caverne de la tourterelle et au côté percé de
notre cher Sauveur. [...] Que ce Seigneur est bon, ma chère fille, que son cœur
est aimable ! Demeurons là en ce saint domicile ». [108]
117. Mais, fidèle à son
enseignement sur la sanctification dans la vie ordinaire, il propose que cela
soit vécu au milieu des activités, des tâches et des devoirs quotidiens : «
Vous me demandez comment les âmes qui sont attirées en l’oraison à cette sainte
simplicité et ce parfait abandonnement à Dieu se doivent conduire en toutes
leurs actions ? Je réponds que, non seulement en l’oraison, mais en la conduite
de toute leur vie, elles doivent marcher invariablement en esprit de
simplicité, abandonnant et remettant toute leur âme, leurs actions et leurs
succès au bon plaisir de Dieu, par un amour de parfaite et très absolue
confiance, se délaissant à la merci et au soin de l’amour éternel que la divine
Providence a pour elles ». [109]
118. Pour toutes ces
raisons, lorsqu’il s’agit de penser à un symbole qui puisse résumer sa
proposition de vie spirituelle, il conclut : « J’ai pensé, ma chère Mère, si
vous en êtes d’accord, qu’il nous faut prendre pour armes un unique cœur percé
de deux flèches enfermé dans une couronne d’épines ». [110]
Une nouvelle déclaration d’amour
119. Les événements de
Paray-le-Monial, à la fin du XVII ème siècle, se sont
déroulés sous l’influence salutaire de cette spiritualité salésienne. Sainte
Marguerite-Marie Alacoque a fait le récit d’importantes apparitions entre la
fin de décembre 1673 et juin 1675. De la première grande apparition, ressort
essentiellement une déclaration d’amour. Jésus dit : « Mon divin Cœur est si
passionné d’amour pour les hommes, et pour toi en particulier, que, ne pouvant
plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’il les
répande par ton moyen et qu’il se manifeste à eux pour les enrichir de ses
précieux trésors que je te découvre ». [111]
120. Sainte
Marguerite-Marie résume cela avec force et ferveur : « Il me découvrit les
merveilles de son amour et les secrets inexplicables de son Sacré Cœur qu’Il
m’avait toujours tenus cachés, jusqu’alors qu’Il me l’ouvrit pour la première
fois, mais d’une manière si effective et sensible qu’Il ne me laissa aucun lieu
d’en douter ». [112] Dans
les déclarations suivantes, la beauté de ce message est réaffirmée : « Il me
découvrit les merveilles inexplicables de son pur amour, et jusqu’à quel excès
il l’avait porté d’aimer les hommes ». [113]
121. Cette reconnaissance
intense de l’amour de Jésus-Christ que sainte Marguerite-Marie nous a transmise
nous offre de précieux stimulants pour notre union avec Lui. Cela ne signifie
pas que nous nous sentions obligés d’accepter ou d’assumer tous les détails de
cette proposition spirituelle, où, comme c’est souvent le cas, l’action divine
est mêlée à des éléments humains liés à nos désirs, à nos préoccupations et à
nos images intérieures. [114] Il
faut toujours la relire à la lumière de l’Évangile et de la riche tradition
spirituelle de l’Église, en reconnaissant tout le bien qu’elle a fait à tant de
sœurs et de frères. Cela nous permet de reconnaître les dons de l’Esprit Saint
dans cette expérience de foi et d’amour. Plus que les détails, le noyau du
message qui nous est transmis peut se résumer dans ces mots que sainte
Marguerite-Marie a entendus : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’Il
n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son
amour ». [115]
122. Cette manifestation
est une invitation à grandir dans la rencontre avec le Christ grâce à une
confiance sans réserve, jusqu’à atteindre une union pleine et définitive : « Il
faut que ce divin Cœur de Jésus soit tellement substitué en la place du nôtre
que Lui seul vive et agisse en nous et pour nous ; que sa volonté […] puisse
agir absolument sans résistance de notre part ; et enfin que ses affections,
ses pensées et ses désirs soient en la place des nôtres, mais surtout son
amour, qui s’aimera Lui-même en nous et pour nous. Et ainsi, cet aimable Cœur
nous étant tout en toute chose, nous pourrons dire avec saint Paul que nous ne vivons
plus, mais que c’est Lui qui vit en nous ». [116]
123. Elle présente dans le
premier message reçu cette expérience de manière plus personnelle, plus
concrète, pleine de feu et de tendresse : « Il me demanda mon cœur, lequel je
le suppliai de prendre, ce qu’Il fit, et le mit dans le sien adorable, dans
lequel Il me le fit voir comme un petit atome qui se consommait dans cette
ardente fournaise ». [117]
124. À un autre moment,
nous constatons que celui qui se donne à nous c’est le Christ ressuscité, plein
de gloire, de vie et de lumière. Certes, Il parle ailleurs des souffrances
endurées pour nous et de l’ingratitude qu’Il reçoit ; mais ici ce ne sont ni le
sang ni les blessures souffrantes qui ressortent, mais la lumière et le feu du
Vivant. Les plaies de la Passion ne disparaissent pas mais sont transfigurées.
Le Mystère pascal est ainsi exprimé dans son intégralité : « Et une fois, entre
les autres, que le saint Sacrement était exposé, […] Jésus-Christ, mon doux
Maître, se présenta à moi, tout éclatant de gloire avec ses cinq plaies
brillantes comme cinq soleils, et de cette sacrée humanité sortaient des
flammes de toutes parts, mais surtout de son adorable poitrine qui ressemblait
une fournaise; et s’étant ouverte, me découvrit son tout aimant et tout aimable
Cœur qui était la vive source de ces flammes. Ce fut alors qu’Il me découvrit
les merveilles inexplicables de son pur amour, et jusqu’à quel excès il l’avait
porté, d’aimer les hommes, dont Il ne recevait que des ingratitudes et
méconnaissances ». [118]
Saint Claude de La Colombière
125. Lorsque saint Claude
de La Colombière prend connaissance des expériences de sainte Marguerite-Marie,
il s’en fait immédiatement le défenseur et le diffuseur. Il a joué un rôle
particulier dans la compréhension et la diffusion de cette dévotion au
Sacré-Cœur, mais aussi dans son interprétation à la lumière de l’Évangile.
126. Certaines expressions
de sainte Marguerite-Marie mal comprises pourraient conduire à une trop grande
confiance dans les sacrifices et offrandes personnels. Or, saint Claude montre
que la contemplation du Cœur du Christ, si elle est authentique, ne provoque
pas de complaisance en soi-même ni de vaine gloire dans les expériences ou les
efforts humains, mais un abandon indescriptible dans le Christ qui remplit la
vie de paix, de sécurité et de résolutions. Cette confiance absolue, il l’a
très bien exprimée dans une célèbre prière :
« Pour moi, mon Dieu je suis si
persuadé que vous veillez sur ceux qui espèrent en vous, je suis si persuadé
qu’on ne peut manquer de rien quand on attend tout de vous, que j’ai résolu de
vivre à l’avenir sans aucun souci, et de me décharger sur vous de toutes mes
inquiétudes […]. Jamais je ne perdrai mon espérance, je la conserverai jusqu’au
dernier moment de ma vie et tous les démons de l’enfer feront à ce moment de
vains efforts pour me l’arracher […]. Que les uns attendent leur bonheur ou de
leurs richesses, ou de leurs talents ; que les autres s’appuient ou sur
l’innocence de leur vie, ou sur la rigueur de leurs pénitences, ou sur le
nombre de leurs aumônes, ou sur la ferveur de leurs prières, […] pour moi,
Seigneur, toute ma confiance, c’est ma confiance même : cette confiance ne
trompe jamais personne […]. Je suis donc assuré que je serai éternellement
heureux, parce que j’espère fermement de l’être, et que c’est de vous, ô mon
Dieu, que je l’espère ». [119]
127. Saint Claude écrit
une note en janvier 1677, précédée de quelques lignes évoquant la certitude
qu’il a de sa mission : « J’ai reconnu que Dieu voulait que je le servisse en
procurant l’accomplissement de ses désirs touchant la dévotion qu’Il a suggérée
à une personne à qui Il se communique fort confidemment, et pour laquelle Il a
bien voulu se servir de ma faiblesse ». [120]
128. Il est important de
noter comment, dans la spiritualité de La Colombière, se trouve une belle
synthèse entre la riche et magnifique expérience spirituelle de sainte
Marguerite-Marie et la contemplation très concrète des Exercices ignatiens. Il
écrit au début de la troisième semaine du mois des Exercices : « Deux choses
m’ont extrêmement touché. La première, c’est la disposition avec laquelle Jésus-Christ
alla au-devant de ceux qui le cherchaient […]. Son cœur est plongé dans une
horrible amertume, toutes les passions sont déchainées au-dedans de lui, toute
la nature est déconcertée, et à travers tous ces désordres, toutes ces
tentations, le cœur se porte droit à Dieu, ne fait pas un faux pas, ne balance
point à prendre le parti que la vertu et la plus haute vertu lui suggère […].
La seconde chose, c’est la disposition de ce même cœur à l’égard de Judas qui
le trahissait, des Apôtres qui l’abandonnaient lâchement, des Prêtres et des
autres qui étaient les auteurs de la persécution qu’il souffrait ; il est
certain que tout cela ne fut pas capable d’exciter en lui le moindre
ressentiment de haine ou d’indignation […]. Je me représente donc ce cœur sans
fiel, sans aigreur, plein d’une véritable tendresse pour ses ennemis ». [121]
Saint Charles de Foucauld et
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus
129. Saint Charles de
Foucauld et Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ont involontairement remodelé
certains éléments de la dévotion au Cœur du Christ, nous aidant à la
comprendre, toujours plus fidèlement à l’Évangile. Voyons comment cette dévotion
s’est exprimée dans leur vie. Dans le prochain chapitre, nous reviendrons à eux
pour montrer l’originalité de la dimension missionnaire qu’ils ont tous deux
développée de manière différente.
Iesus Caritas
130. Saint Charles de
Foucauld visitait un jour à Louÿe le Saint Sacrement avec sa cousine, Madame de
Bondy, et elle lui montra une image du Sacré-Cœur. [122] Cette
cousine joua un rôle déterminant dans la conversion de Charles, comme il le
reconnaît lui-même : « Puisque le Bon Dieu vous a fait le premier instrument de
ses miséricordes à mon égard, c’est de vous qu’elles découlent toutes : si vous
ne m’aviez pas converti, ramené à Jésus, appris petit à petit, comme mot à mot
tout ce qui est pieux et bon, en serais-je là aujourd’hui? ». [123] Mais
ce qu’elle éveilla en lui, c’est la conscience brûlante de l’amour de Jésus.
Tout était là, c’était le plus important. Et cela se focalisa en particulier
sur la dévotion au Cœur du Christ où il découvrit une miséricorde sans limites
: « Espérons dans la miséricorde infinie de Celui dont vous m’avez fait
connaître le Sacré-Cœur ». [124]
131. Ensuite, son
directeur spirituel, l’abbé Henri Huvelin, l’aida à approfondir ce précieux
mystère : « Ce cœur béni dont vous m’avez parlé si souvent ». [125] Le
6 juin 1889, Charles se consacra au Sacré-Cœur où il trouva un amour très
tendre et très absolu. Il dit au Christ : « Vous m’avez tellement comblé de
bienfaits qu’il me semble que ce serait être ingrat envers votre cœur que de ne
pas croire qu’il est prêt à me combler de tout bien, si grand qu’il soit, et
que son amour comme sa libéralité sont sans mesure ». [126] Il
sera le premier ermite « sous le nom du Sacré-Cœur ». [127]
132. Le 17 mai 1906, le
jour même où frère Charles, seul, ne peut plus célébrer la messe, il écrit
avoir promis : « Laisser vivre en moi le cœur de Jésus, pour que ce ne soit
plus moi qui vive, mais le Cœur de Jésus qui vive en moi, comme il vivait à
Nazareth ». [128] Son
amitié avec Jésus, cœur à cœur, n’avait rien d’une dévotion intimiste. Elle
était la racine de cette vie dépouillée de Nazareth par laquelle Charles
voulait imiter le Christ et se configurer à Lui. Cette tendre dévotion au Cœur
du Christ eut des conséquences très concrètes sur son mode de vie, et son
Nazareth s’est nourri de cette relation très personnelle avec le Cœur du
Christ.
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus
133. Comme saint Charles
de Foucauld, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus a respiré l’immense dévotion qui
inonda la France au XIXème siècle. L’abbé Pichon, considéré
comme un grand apôtre du Sacré-Cœur, était le directeur spirituel de sa
famille. Une des sœurs de Thérèse prit comme nom de religion “Marie du
Sacré-Cœur” et le monastère dans lequel la sainte entra était voué au
Sacré-Cœur. Cependant, sa dévotion prit certaines caractéristiques propres,
au-delà des formes dans lesquelles elle s’exprimait à l’époque.
134. À quinze ans, elle
trouva une manière de résumer sa relation avec Jésus : « Celui dont le cœur
battait à l’unisson du mien ». [129] Deux
ans plus tard, lorsqu’on lui parla d’un cœur couronné d’épines, elle écrivit
dans une lettre : « Tu sais, moi je ne vois pas le Sacré-Cœur comme tout le
monde, je pense que le cœur de mon époux est à moi seule, comme le mien est à
lui seul et je lui parle alors dans la solitude de ce délicieux cœur à cœur en
attendant de le contempler un jour face à face ». [130]
135. Dans une poésie, elle
exprime le sens de sa dévotion, faite plus d’amitié et de confiance que de
sécurité dans ses propres sacrifices :
« J’ai besoin d’un cœur brûlant
de tendresse
Restant mon appui sans aucun retour
Aimant tout en moi, même ma faiblesse…
Ne me quittant pas, la nuit et le jour. [...]
Il me faut un Dieu prenant ma nature
Devenant mon frère et pouvant souffrir ! [...]
Ah ! je le sais bien, toutes nos justices
N’ont devant tes yeux aucune valeur [...].
Et moi je choisis pour mon purgatoire
Ton Amour brûlant, ô Cœur de mon Dieu ». [131]
136. Le texte le plus
important pour comprendre le sens de sa dévotion au Cœur du Christ est sans
doute la lettre qu’elle écrivit, trois mois avant sa mort, à son ami Maurice
Bellière : « Lorsque je vois Madeleine s’avancer devant les nombreux convives,
arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, qu’elle touche pour la
première fois ; je sens que son cœur a compris les abîmes d’amour et de
miséricorde du Cœur de Jésus, et que toute pécheresse qu’elle est ce Cœur
d’amour est non seulement disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer
les bienfaits de son intimité divine, à l’élever jusqu’aux plus hauts sommets
de la contemplation. Ah ! mon cher petit Frère, depuis qu’il m’a été donné de
comprendre aussi l’amour du Cœur de Jésus, je vous avoue qu’il a chassé de mon
cœur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m’humilie, me porte à ne jamais
m’appuyer sur ma force qui n’est que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me
parle de miséricorde et d’amour ». [132]
137. Les esprits
moralisateurs, qui prétendent garder le contrôle de la miséricorde et de la
grâce, diraient qu’elle pouvait écrire cela parce qu’elle était une sainte,
mais qu’une pécheresse ne l’aurait pas pu. Ce faisant, ils privent la spiritualité
de Thérèse de sa belle nouveauté qui reflète le cœur de l’Évangile. Il est
malheureusement devenu courant, dans certains cercles chrétiens, d’essayer
d’enfermer l’Esprit Saint dans un schéma qui leur permet de tout superviser.
Mais ce sage Docteur de l’Église les fait taire et contredit directement cette
interprétation réductrice par ces mots très clairs : « Si j’avais commis tous
les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute
cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier
ardent ». [133]
138. Elle répond
longuement à sœur Marie qui la louait pour son amour généreux pour Dieu, amour
disposé au martyre, dans une lettre qui constitue l’un des grands jalons de
l’histoire de la spiritualité. Cette page devrait être lue mille fois pour sa
profondeur, sa clarté et sa beauté. Thérèse aide sa sœur “du Sacré-Cœur” à ne pas
centrer cette dévotion sur un aspect doloriste, certains ayant compris la
réparation comme une sorte de primat des sacrifices ou des observances
austères. Au contraire, elle la résume dans la confiance qui est l’offrande la
plus agréable au Cœur du Christ : « Mes désirs du martyre ne sont rien, ce ne
sont pas eux qui me donnent la confiance illimitée que je sens en mon cœur. Ce
sont, à vrai dire, les richesses spirituelles qui rendent injuste, lorsqu’on
s’y repose avec complaisance et que l’on croit qu’ils sont quelque chose de
grand. [...] Ce qui lui plaît, c’est de me voir aimer ma petitesse et ma
pauvreté, c’est l’espérance aveugle que j’ai en sa miséricorde… Voilà mon seul
trésor. [...] Si vous désirez sentir de la joie avoir de l’attrait pour la souffrance,
c’est votre consolation que vous cherchez […]. Comprenez que pour aimer Jésus,
être sa victime d’amour, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on
est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant. [...] Oh !
que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens !... C’est la
confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour ». [134]
139. Il est possible de
voir dans nombre de ses textes sa lutte contre des formes de spiritualité trop
centrées sur l’effort humain, sur le mérite propre, sur l’offrande de
sacrifices, sur certaines observances pour “gagner le ciel”. Pour elle, « le
mérite ne consiste pas à faire ni à donner beaucoup, mais plutôt à recevoir
». [135] Relisons
quelques textes très significatifs où elle insiste sur cette voie qui est un
moyen simple et rapide de gagner le Seigneur par le cœur.
140. Elle écrit à sa sœur
Léonie : « Je t’assure que le Bon Dieu est bien meilleur que tu le crois. Il se
contente d’un regard, d’un soupir d’amour… Pour moi je trouve la perfection
bien facile à pratiquer, parce que j’ai compris qu’il n’y a qu’à prendre Jésus
par le Cœur... Regarde un petit enfant, qui vient de fâcher sa mère [...] s’il
vient lui tendre ses petits bras en souriant et disant : “Embrasse-moi, je ne
recommencerai plus”. Est-ce que sa mère pourra ne pas le presser contre son
cœur avec tendresse et oublier ses malices enfantines ?... Cependant elle sait
bien que son cher petit recommencera à la prochaine occasion, mais cela ne fait
rien, s’il la prend encore par le cœur jamais il ne sera puni ». [136]
141. Dans une lettre à
l’abbé Roulland elle dit : « Ma voie est toute de confiance et d’amour, je ne
comprends pas les âmes qui ont peur d’un si tendre Ami. Parfois lorsque je lis
certains traités spirituels où la perfection est montrée à travers mille
entraves, environnée d’une foule d’illusions, mon pauvre petit esprit se
fatigue bien vite, je ferme le savant livre qui me casse la tête et me dessèche
le cœur et je prends l’Écriture Sainte. Alors tout me semble lumineux, une
seule parole découvre à mon âme des horizons infinis, la perfection me semble
facile, je vois qu’il suffit de reconnaître son néant et de s’abandonner comme
un enfant dans les bras du Bon Dieu ». [137]
142. Et s’adressant à
l’abbé Bellière à propos d’un père de famille elle dit : « Je ne crois pas que
le cœur de l’heureux père puisse résister à la confiance filiale de son enfant
dont il connaît la sincérité et l’amour. Il n’ignore pas cependant que plus
d’une fois son fils retombera dans les mêmes fautes, mais il est disposé à lui
pardonner toujours, si toujours son fils le prend par le cœur ». [138]
Résonances dans la Compagnie de
Jésus
143. Nous avons vu comment
saint Claude de La Colombière avait relié l’expérience spirituelle de sainte
Marguerite-Marie à la proposition des Exercices spirituels. Je crois que la
place du Sacré-Cœur dans l’histoire de la Compagnie de Jésus mérite une brève
mention.
144. La spiritualité de la
Compagnie de Jésus a toujours proposé une « connaissance intérieure du
Seigneur, afin [de] l’aimer et le suivre davantage ». [139] Saint
Ignace nous invite dans ses Exercices Spirituels à nous mettre devant
l’Évangile qui nous dit : « Le côté [de Jésus] fut blessé par la lance, et il
en coula de l’eau et du sang ». [140] Lorsque
le retraitant se trouve devant le côté blessé du Christ, Ignace lui propose
d’entrer dans son cœur. C’est une manière de faire mûrir le cœur sous la
conduite d’un “maître des affections”, selon l’expression utilisée par saint
Pierre Fabre dans l’une de ses lettres à saint Ignace. [141] Le
Père jésuite Juan Alfonso de Polanco le mentionne également dans sa biographie
de saint Ignace : « [le Cardinal Contarini] reconnut avoir trouvé chez le Père
Ignace un maître des affections ». [142] Les
entretiens que propose saint Ignace sont une partie essentielle de cette
éducation du cœur, parce qu’ils font sentir et goûter avec le cœur le message
de l’Évangile ; et en parler avec le Seigneur. Saint Ignace affirme que nous
pouvons dire au Seigneur ce qui nous concerne et Lui demander son conseil.
Chaque retraitant peut reconnaître, dans les Exercices, un dialogue cœur à
cœur.
145. Saint Ignace termine
ses contemplations au pied du Crucifix en invitant le retraitant à s’adresser
avec grande affection au Seigneur crucifié, Lui demandant « comme un ami parle
à un ami ou un serviteur à son seigneur » ce qu’il devra faire pour Lui. [143] L’itinéraire
des Exercices culmine dans la « Contemplation pour parvenir à l’amour », d’où
découlent l’action de grâce et l’offrande de « la mémoire, de l’intelligence et
de la volonté » au Cœur qui est source et origine de tout bien. [144] Cette
connaissance intérieure du Seigneur ne se construit pas à partir de nos
capacités et de nos efforts, mais elle se demande comme don.
146. Cette même expérience
sera faite par une longue chaîne de prêtres jésuites qui font explicitement
référence au Cœur de Jésus, comme saint François de Borgia, saint Pierre Favre,
saint Alonso Rodriguez, le Père Alvarez de Paz, le Père Vincenzo Caraffa, le
Père Kasper Druźbicki et bien d’autres. En 1883, les jésuites déclarent « que
la Compagnie de Jésus accepte et reçoit avec un esprit débordant de joie et de
gratitude le très doux fardeau que lui a confié notre Seigneur Jésus-Christ de
pratiquer, de promouvoir et de propager la dévotion à son divin Cœur ». [145] En
décembre 1871, le Père Pieter Jan Beckx consacre la Compagnie au Sacré-Cœur de
Jésus et, pour témoigner que cela a toujours fait partie intégrante de la vie
de la Compagnie, le Père Pedro Arrupe le fait de nouveau en 1972, avec une
conviction exprimée en ces termes : « Je veux dire à la Compagnie quelque chose
que j’estime ne pas devoir taire. Depuis mon noviciat, j’ai toujours été
convaincu que ce que nous appelons la dévotion au Sacré-Cœur contient une
expression symbolique du plus profond de l’esprit ignatien, et une efficacité
extraordinaire - ultra quam speraverint - tant pour sa propre
perfection que pour sa fécondité apostolique. Je suis toujours convaincu de la
même chose. […] Dans cette dévotion, je trouve une des sources les plus intimes
de ma vie intérieure ». [146]
147. Lorsque saint Jean-Paul II invitait
« tous les membres de la Compagnie à promouvoir avec plus de zèle encore cette
dévotion qui correspond plus que jamais aux attentes de notre temps », il le
faisait parce qu’il reconnaissait les liens intimes entre la dévotion au Cœur
du Christ et la spiritualité ignatienne, car « le désir de “connaître
intimement le Seigneur” et de “faire un colloque” avec lui, cœur à cœur, est
caractéristique, grâce aux Exercices spirituels, du dynamisme spirituel et
apostolique ignacien, tout entier au service de l’amour du Cœur de Dieu
». [147]
Un long courant de vie intérieure
148. La dévotion au Cœur
du Christ réapparaît dans l’itinéraire spirituel de nombreux saints très
différents les uns des autres, et cette dévotion revêt chez chacun d’eux des
aspects nouveaux. Saint Vincent de Paul, par exemple, disait que ce que Dieu
veut, c’est le cœur : « Dieu demande principalement le cœur, le cœur, et c’est
le principal. D’où vient qu’un qui n’aura pas de bien méritera plus que celui
qui aura de grandes possessions auxquelles il renonce ? Parce que celui qui n’a
rien y va avec plus d’affection ; et c’est ce que Dieu veut particulièrement...
». [148] Cela
implique d’accepter d’unir son cœur à celui du Christ : « Une fille qui fait
tout ce qu’elle peut faire pour mettre son cœur en état d’être uni à celui de
Notre Seigneur, […] quelle bénédiction ne doit-elle pas espérer de Dieu
». [149]
149. Nous sommes parfois
tentés de considérer ce mystère d’amour comme un fait admirable du passé, comme
une belle spiritualité d’autrefois. Or nous devons toujours nous rappeler,
comme le disait un saint missionnaire, que « ce cœur divin, qui a supporté
d’être transpercé par une lance ennemie afin de répandre, par cette ouverture
sacrée, les sacrements par lesquels l’Église a été formée, n’a jamais cessé
d’aimer ». [150] D’autres
saints plus récents, comme saint Pio de Pietrelcina, sainte Teresa de Calcutta
et bien d’autres, parlent avec profonde dévotion du Cœur du Christ. Et je
voudrais aussi rappeler les expériences de sainte Faustine Kowalska qui propose
à nouveau la dévotion au Cœur du Christ en mettant fortement l’accent sur la
vie glorieuse du Ressuscité et sur la miséricorde divine. À la suite de quoi,
motivé par ces expériences de cette sainte et puisant dans l’héritage spirituel
de l’évêque saint Józef Sebastian Pleczar (1842-1924), [151] saint Jean-Paul II rattache
étroitement sa réflexion sur la miséricorde à la dévotion au Cœur du Christ : «
L’Église semble professer et vénérer d’une manière particulière la miséricorde
de Dieu quand elle s’adresse au cœur du Christ. En effet, nous approcher du
Christ dans le mystère de son cœur nous permet de nous arrêter sur ce point […]
de la révélation de l’amour miséricordieux du Père, qui a constitué le contenu
central de la mission messianique du Fils de l’homme ». [152] Le
même saint Jean-Paul II,
se référant au Sacré-Cœur, reconnait de façon très personnelle : « Il m’a parlé
dès mon plus jeune âge ». [153]
150. L’actualité de la
dévotion au Cœur du Christ est manifeste en particulier dans l’œuvre
évangélisatrice et éducative de nombreuses congrégations religieuses féminines
et masculines qui ont été marquées, dès leurs origines, par cette expérience
spirituelle christologique. Les citer toutes serait une tâche interminable.
Voici seulement deux exemples pris au hasard : « Le Fondateur [S. Daniele
Comboni] trouva dans le mystère du Cœur de Jésus la force de son engagement
missionnaire ». [154] «
Poussées par l’amour du Cœur de Jésus, nous cherchons à faire grandir les
personnes dans leur dignité humaine, comme fils et filles de Dieu, à partir de
l’Évangile et de ses exigences d’amour, de pardon, de justice et de solidarité
avec les pauvres et les marginalisés ». [155] De
même, les sanctuaires consacrés au Cœur du Christ, répandus dans le monde
entier, sont une source attirante de spiritualité et de ferveur. À tous ceux
qui, d’une manière ou d’une autre, se rendent en ces lieux de foi et de
charité, j’adresse ma bénédiction paternelle.
La dévotion de la consolation
151. La blessure du côté
d’où jaillit l’eau vive est encore ouverte chez le Christ ressuscité. Cette
large blessure faite par la lance, ainsi que les blessures de la couronne
d’épines qui apparaissent souvent dans les représentations du Sacré-Cœur, sont
inséparables de cette dévotion. Nous contemplons en elles l’amour de
Jésus-Christ qui fut capable de se donner jusqu’au bout. Le cœur du Ressuscité
conserve ces signes du don total qui entraîna une intense souffrance pour nous.
Il est donc en quelque sorte inévitable que le croyant veuille réagir non
seulement à ce grand amour, mais aussi à la douleur que le Christ a accepté
d’endurer pour tant d’amour.
Avec Lui sur la Croix
152. Il vaut la peine de
mentionner cette expression de l’expérience spirituelle qui s’est développée
autour du Cœur du Christ : le désir intérieur de Le consoler. Je n’aborderai
pas ici la pratique de la “réparation” que je considère mieux placée dans le
contexte de la dimension sociale de cette dévotion et que je développerai dans
le chapitre suivant. Pour l’instant, je voudrais seulement me concentrer sur ce
désir qui apparaît souvent dans le cœur du croyant amoureux lorsqu’il contemple
le mystère de la Passion du Christ et qu’il la vit comme un mystère, non pas
seulement rappelé mais, par grâce rendu présent, ou mieux, nous rendant
mystiquement présents à ce moment rédempteur. Comment ne pas vouloir consoler
le Bien-aimé, s’Il est le plus important ?
153. Le Pape Pie XI a
voulu justifier cela en nous invitant à reconnaître que le mystère de la
Rédemption par la Passion du Christ transcende, par la grâce de Dieu, toutes
les distances de temps et d’espace. S’Il s’est donné sur la croix pour les
péchés à venir, les nôtres ; de la même manière nos actes offerts aujourd’hui
pour sa consolation parviennent, par-delà le temps, jusqu’à son cœur blessé : «
Si, à cause de nos péchés futurs, mais prévus, l’âme du Christ devint triste
jusqu’à la mort, elle a, sans nul doute, recueilli quelque consolation, prévue
elle aussi, de nos actes de réparation, alors qu’un ange venant du ciel ( Lc 22,
43) lui apparut, pour consoler son cœur accablé de dégoût et d’angoisse. Ainsi
donc, ce cœur sacré incessamment blessé par les péchés d’hommes ingrats, nous
pouvons maintenant, et même nous devons, le consoler d’une manière mystérieuse,
mais réelle ». [156]
Les raisons du cœur
154. Il pourrait sembler
que cette expression de dévotion n’ait pas de support théologique suffisant.
Mais en réalité le cœur a ses raisons. Le sensus fidelium perçoit
qu’il y a là quelque chose de mystérieux qui dépasse notre logique humaine, et
que la Passion du Christ n’est pas un simple fait du passé : nous pouvons y
participer par la foi. Méditer le don de soi du Christ sur la croix est plus
qu’un simple souvenir pour la piété des fidèles. Cette conviction est
solidement fondée dans la théologie. [157] À
cela s’ajoute la conscience de notre péché qu’Il a porté sur ses épaules
blessées, et de notre insuffisance devant tant d’amour qui nous dépasse
toujours infiniment.
155. Quoi qu’il en soit,
nous nous demandons comment il est possible d’être en relation avec le Christ
vivant, ressuscité, pleinement heureux, et en même temps de le consoler dans sa
Passion. Il convient de considérer que le Cœur ressuscité conserve sa blessure
comme un souvenir constant, et que l’action de la grâce provoque une expérience
qui n’est pas entièrement contenue dans l’instant chronologique. Ces deux
convictions nous permettent d’admettre que nous nous trouvons sur un chemin
mystique qui dépasse les tentatives de la raison et exprime ce que la Parole de
Dieu elle-même nous suggère : « Mais – écrivait le Pape Pie XI –
quelle consolation peuvent apporter au Christ régnant dans la béatitude céleste
ces rites expiatoire ? Nous répondrons avec Saint Augustin : “Prenez une
personne qui aime : elle comprendra ce que je dis.” Toute âme aimant Dieu avec
ferveur, quand elle regarde le passé, peut voir et contempler dans ses
méditations le Christ travaillant pour l’homme, affligé, souffrant les plus
dures épreuves “pour nous les hommes et pour notre salut”, presque abattu par
la tristesse, l’angoisse et les opprobres ; bien plus, “écrasé à cause de nos
fautes” ( Is 53, 5), dans ses blessures nous trouvons la
guérison. Tout cela, les âmes pieuses ont d’autant plus de raison de le méditer
que ce sont les péchés et les crimes des hommes commis en n’importe quel temps
qui ont causé la mort du Fils de Dieu ». [158]
156. Cet enseignement
de Pie XI mérite
d’être pris en considération. En effet, lorsque l’Écriture affirme que les
croyants qui ne vivent pas en accord avec leur foi « crucifient pour leur
compte le Fils de Dieu » (He 6, 6), ou que lorsque j’endure les
souffrances pour les autres « je complète en ma chair ce qui manque aux
épreuves du Christ » (Col 1, 24), ou que le Christ durant sa
Passion a prié non seulement pour ses disciples d’alors, mais « pour ceux qui,
grâce à leur parole, croiront en Lui » (Jn 17, 20), elle dit une
chose qui brise nos schémas limités. Elle nous montre qu’il n’est pas possible
d’établir un avant et un après sans aucun lien, même si notre pensée ne sait
pas comment l’expliquer. L’Évangile n’est pas seulement à réfléchir ou à
remémorer dans ses différents aspects, mais à vivre, tant dans les œuvres
d’amour que dans l’expérience intérieure. Et cela vaut surtout pour le mystère
de la mort et de la résurrection du Christ. Les séparations temporelles que
notre esprit utilise ne semblent pas contenir la vérité de cette expérience
croyante dans laquelle se fusionnent l’union avec le Christ souffrant et, en
même temps, la force, la consolation et l’amitié dont nous jouissons avec le
Ressuscité.
157. Voyons alors l’unité
du Mystère pascal dans ses deux aspects inséparables qui s’éclairent
mutuellement. Ce Mystère unique, rendu présent par la grâce dans ses deux
dimensions, fait que nos souffrances sont illuminées et transfigurées par la
lumière pascale de l’amour, alors même que nous cherchons à offrir quelque
chose au Christ pour le consoler. Nous participons à ce Mystère dans notre vie
concrète parce que, par avance, le Christ a voulu participer à notre vie, Il a
voulu par avance vivre en tant que tête ce que son Corps ecclésial allait
vivre, tant dans les blessures que dans les consolations. Lorsque nous vivons
dans la grâce de Dieu, cette participation mutuelle devient une expérience
spirituelle. En définitive, le Ressuscité par l’action de sa grâce nous permet
d’être mystérieusement unis à sa Passion. Les cœurs croyants qui font
l’expérience de la joie de la résurrection le savent, mais ils désirent en même
temps participer au destin de leur Seigneur. Ils sont prêts à cette
participation par les souffrances, les peines, les déceptions et les peurs qui
font partie de leur vie. Ils ne vivent pas ce Mystère dans la solitude parce
que ces blessures sont également une participation au destin du Corps mystique
du Christ qui marche au milieu du peuple saint de Dieu. Celui-ci porte en lui
le destin du Christ en tout temps et en tout lieu de l’histoire. La dévotion de
consolation n’est pas anhistorique ni abstraite, elle se fait chair et sang
dans le cheminement de l’Église.
La Componction
158. Le désir nécessaire
de consoler le Christ, qui naît de la souffrance en contemplant ce qu’Il a
enduré pour nous, se nourrit aussi de la reconnaissance sincère de nos
servitudes, de nos attachements, de nos manques de joie dans la foi, de nos
vaines recherches et, au-delà de nos péchés concrets, de la non correspondance
de nos cœurs à son amour et à son projet. Cette expérience nous purifie car
l’amour a besoin de la purification des larmes qui, en fin de compte, nous
rendent plus assoiffés de Dieu et moins obsédés de nous-mêmes.
159. Nous voyons ainsi que
plus le désir de consoler le Seigneur est profond, plus la componction du cœur
croyant est profonde. Celle-ci « n’est pas un sentiment de culpabilité qui
abat, ni un scrupule qui paralyse, mais une piqûre salutaire qui brûle à
l’intérieur et guérit, parce que le cœur, lorsqu’il voit son mal et se
reconnaît pécheur, s’ouvre, accueille l’action de l’Esprit Saint, eau vive qui
l’émeut et fait couler des larmes sur son visage [...]. Il ne s’agit pas de
pleurer sur nous-mêmes, comme nous sommes souvent tentés de le faire. [...]
Avoir des larmes de componction c’est au contraire nous repentir sérieusement
d’avoir attristé Dieu par le péché ; c’est reconnaître que nous sommes toujours
en dette et jamais en crédit [...]. Comme la goutte creuse la pierre, les
larmes creusent lentement les cœurs endurcis. On assiste ainsi au miracle de la
tristesse, de la bonne tristesse, qui conduit à la douceur [...]. La
componction n’est pas tant le fruit de notre exercice, mais elle est une grâce
et, comme telle, doit être demandée dans la prière ». [159] Il
s’agit de « demander […] la douleur avec le Christ douloureux ; l’accablement
avec le Christ accablé, les larmes, et la peine intérieure pour la peine si
grande que le Christ a enduré pour moi ». [160]
160. Je demande donc que
personne ne se moque des expressions de ferveur croyante du peuple saint et
fidèle de Dieu qui, dans sa piété populaire, cherche à consoler le Christ. Et
j’invite chacun à se demander s’il n’y a pas davantage de rationalité, de
vérité et de sagesse dans certaines manifestations de cet amour qui cherche à
consoler le Seigneur que dans les froids, distants, calculés et minuscules
actes d’amour dont nous sommes capables, nous qui prétendons posséder une foi plus
réfléchie, plus cultivée, et plus mature.
Consolés pour consoler
161. Nous sommes consolés
dans cette contemplation du Cœur du Christ donné jusqu’au bout. La douleur que
nous ressentons dans notre cœur cède la place à une confiance totale, et il ne
reste à la fin que de la gratitude, de la tendresse, de la paix, son amour
régnant dans notre vie. La componction « ne provoque pas d’angoisse mais
soulage l’âme de ses fardeaux parce qu’elle agit dans la blessure du péché en
nous disposant à recevoir la caresse du Seigneur ». [161] Et
notre souffrance s’unit à celle du Christ sur la croix car affirmer que la
grâce nous permet de surmonter toutes les distances c’est affirmer aussi que le
Christ, lorsqu’il souffrait, s’unissait aux souffrances de ses disciples tout
au long de l’histoire. Ainsi, lorsque nous souffrons, nous pouvons éprouver la
consolation intérieure de savoir que le Christ lui-même souffre avec nous.
Désireux de le consoler, nous en sortons consolés.
162. Mais à un moment
donné de cette contemplation du cœur croyant, l’appel dramatique du Seigneur
doit retentir : « Consolez, consolez mon peuple » (Is 40, 1). Et
nous viennent à l’esprit les paroles de saint Paul qui nous rappelle que Dieu
nous console « afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu,
nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit » (2
Co 1, 4).
163. Cela nous invite à chercher
à approfondir la dimension communautaire, sociale et missionnaire de toute
dévotion authentique au Cœur du Christ. En même temps que le Cœur du Christ
nous conduit au Père, il nous envoie vers nos frères. Dans les fruits de
service, de fraternité et de mission que le Cœur du Christ produit à travers
nous, la volonté du Père s’accomplit. De la sorte, le cercle se referme : «
C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit » (Jn 15,
8).
V
AMOUR POUR AMOUR
164. Dans les expériences
spirituelles de sainte Marguerite-Marie, à côté de l’ardente déclaration
d’amour de Jésus-Christ, il y a aussi une résonance intérieure qui nous appelle
à donner notre vie. Se savoir aimé et mettre toute sa confiance en cet amour ce
n’est pas annuler nos capacités de don de soi, ce n’est pas renoncer au désir
irrépressible de donner quelque réponse à partir de nos capacités, petites et
limitées.
Une plainte et une requête
165. Dans la deuxième
grande manifestation à sainte Marguerite-Marie, Jésus exprime sa douleur parce
que son grand amour pour les hommes ne reçoit en retour que « des ingratitudes
et méconnaissances », « des froideurs et du rebut », « ce qui – dit le Seigneur
– m’est beaucoup plus sensible que tout ce que j’ai souffert en ma Passion
». [162]
166. Jésus parle de sa
soif d’être aimé, Il nous montre que son Cœur n’est pas indifférent à la
manière dont nous réagissons à son désir : « J’ai soif, mais d’une soif si
ardente d’être aimé des hommes au Saint Sacrement, que cette soif me consomme ;
et je ne trouve personne qui s’efforce, selon mon désir, pour me désaltérer en
rendant quelque retour à mon amour ». [163] La
demande de Jésus est l’amour. Lorsque le cœur croyant le découvre, la réponse
qui jaillit spontanément n’est pas une pesante quête de sacrifices ni le simple
accomplissement d’un devoir pénible, mais elle concerne l’amour : « Je reçus de
mon Dieu des grâces excessives de son amour, et me sentis touchée du désir de
quelque retour, et de lui rendre amour pour amour ». [164] Léon
XIII enseigne cela lorsqu’il écrit que, par l’image du Sacré-Cœur, la charité
du Christ « nous pousse à l’aimer en retour ». [165]
Prolonger son amour chez les
frères
167. Nous devons revenir à
la Parole de Dieu pour reconnaître que la meilleure réponse à l’amour de son
cœur est l’amour pour nos frères. Il n’y a pas d’acte plus grand que nous
puissions offrir pour Lui rendre amour pour amour. La Parole de Dieu le dit
avec une totale clarté :
« Dans la mesure où vous l’avez
fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait
» (Mt 25, 40).
Toute la Loi trouve sa plénitude
dans un seul précepte : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5,
14).
« Nous savons, nous, que nous
sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui
n’aime pas demeure dans la mort » (1 Jn 3, 14).
« Celui qui n’aime pas son frère,
qu’il voit, ne saurait aimer Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20).
168. L’amour pour les
frères ne se fabrique pas, il n’est pas le résultat de notre effort naturel
mais il exige une transformation de notre cœur égoïste. C’est alors que surgit
spontanément la célèbre supplique : “Jésus, rends notre cœur semblable au
tien”. C’est pour cette même raison que l’invitation de saint Paul n’est pas :
“Efforcez-vous de faire de bonnes œuvres”. Son invitation est plus précisément
: « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2,
5).
169. Il est bon de
rappeler que, dans l’Empire romain, beaucoup de pauvres, d’étrangers et autres
laissés-pour-compte trouvaient auprès des chrétiens respect, affection et
attention. Cela explique le raisonnement de l’empereur apostat Julien qui se
demandait pourquoi les chrétiens étaient si respectés et suivis, et qui pensait
que l’une des raisons était leur engagement dans l’assistance des pauvres et
des étrangers, puisque l’Empire les ignorait et les méprisait. Il était
intolérable pour cet empereur que ses pauvres ne reçoivent aucune aide de sa
part, alors que les chrétiens détestés, « en plus de nourrir les leurs,
nourrissent encore les nôtres ». [166] Dans
une lettre, il ordonna de créer des institutions caritatives pour rivaliser
avec les chrétiens et attirer le respect de la société : « Établis dans chaque
cité de nombreux hospices, afin que les étrangers aient à se louer de notre
humanité [...]. Apprends aux amis de l’hellénisme à apporter leur contribution
à de pareilles bienfaisances ». [167] Mais
il n’atteignit pas son objectif, probablement parce qu’il n’y avait pas
derrière ces œuvres l’amour chrétien qui permet de reconnaître à toute personne
une dignité unique.
170. S’identifiant aux
derniers de la société (cf. Mt 25, 31-46) « Jésus a apporté la
grande nouveauté de la reconnaissance de la dignité de toute personne, aussi et
surtout de ces personnes qualifiées d’“indignes”. Ce principe nouveau dans
l’histoire de l’humanité, selon lequel les êtres humains sont d’autant plus
“dignes” de respect et d’amour qu’ils sont plus faibles, plus misérables et
plus souffrants – jusqu’à perdre leur “figure” humaine –, a changé la face du
monde en donnant naissance à des institutions qui s’occupent des personnes en
situation défavorisée : bébés abandonnés, orphelins, personnes âgées laissées
seules, malades mentaux, personnes atteintes de maladies incurables ou de
graves malformations, personnes vivant dans la rue ». [168]
171. Regarder la blessure
du cœur du Seigneur qui « a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies
» ( Mt 8, 17) nous aide à être plus attentifs aux souffrances
et aux besoins des autres, nous rend assez forts pour participer à son œuvre de
libération en tant qu’instruments de diffusion de son amour. [169] Lorsque
nous contemplons le don du Christ pour chacun, nous nous demandons
inévitablement pourquoi nous ne sommes pas capables de donner notre vie pour
les autres : « À ceci nous avons connu l’Amour : celui-là a donné sa vie pour
nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères » ( 1
Jn 3, 16).
Quelques résonances dans
l’histoire de la spiritualité
172. Ce lien entre
dévotion au Cœur de Jésus et engagement envers les frères traverse l’histoire
de la spiritualité chrétienne. Voyons-en quelques exemples.
Être une source pour les autres
173. À partir d’Origène,
plusieurs Pères de l’Église ont interprété le texte de Jean 7, 38 – « de son
sein couleront des fleuves d’eau vive » – comme se référant au croyant
lui-même, bien qu’il s’agisse de la conséquence d’avoir bu au Christ. L’union
au Christ n’est donc pas destinée seulement à étancher sa propre soif mais à devenir
aussi une source d’eau fraîche pour les autres. Origène dit que le Christ
accomplit sa promesse en faisant jaillir de nous des torrents d’eau : « L’âme
de l’homme, qui est à l’image de Dieu, peut avoir en soi et produire hors de
soi des puits, des sources et des fleuves ». [170]
174. Saint Ambroise
recommande de s’abreuver au Christ « afin que la source d’eau abonde en toi qui
jaillit pour la vie éternelle ». [171] Et
Marius Victorinus affirme que l’Esprit Saint est donné en telle abondance que «
celui qui le reçoit devient un sein qui déverse des fleuves d’eau vive ». [172] Saint
Augustin dit que ce fleuve qui jaillit du croyant est la bienveillance. [173] Saint
Thomas d’Aquin réaffirme cette idée en soutenant que lorsque quelqu’un « s’empresse
de communiquer aux autres les divers dons de grâce qu’il a reçus de Dieu, l’eau
vive jaillit de son sein ». [174]
175. En effet, si « le
sacrifice de la croix, offert avec un cœur aimant et obéissant, présente une
satisfaction surabondante et infinie » [175],
l’Église qui naît du Cœur du Christ prolonge et communique en tout temps et en
tout lieu les effets de cette unique Passion rédemptrice qui conduit les
personnes à l’union directe avec le Seigneur.
176. Au sein de l’Église,
la médiation de Marie, mère qui intercède, ne peut être comprise que « comme
une participation à l’unique source qu’est la médiation du Christ lui-même
», [176] l’unique
Rédempteur. « Ce rôle subordonné de Marie, l’Église le professe sans hésitation
». [177] La
dévotion au cœur de Marie n’entend pas affaiblir l’adoration unique due au Cœur
du Christ, mais la stimuler : « Le rôle maternel de Marie à l’égard des hommes
n’offusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ : il en
manifeste au contraire la vertu ». [178] Grâce
à l’immense source qui jaillit du côté ouvert du Christ, l’Église, Marie et
tous les croyants, deviennent de diverses manières des canaux d’eau vive. Le
Christ déploie, de cette manière, sa gloire dans notre petitesse.
Fraternité et mystique
177. Saint Bernard, alors
qu’il invite à l’union avec le Cœur du Christ, utilise la richesse de cette
dévotion pour proposer un changement de vie fondé sur l’amour. Il croit
possible de transformer l’affectivité, esclave des plaisirs dont on ne se
libère pas par une obéissance aveugle à un commandement mais par la réponse à
la douceur de l’amour du Christ. Le mal est vaincu par le bien, le mal est
vaincu par la croissance de l’amour : « Aime donc le Seigneur ton Dieu d’une
affection de cœur pleine et entière ; aime-le de toute la sagesse et de toute
la vigilance de la raison ; aime-le aussi de toute ta force, sans même craindre
de mourir par amour pour lui […]. Que le Seigneur Jésus soit pour ton cœur un
objet suave et doux, toujours opposé à la douceur criminelle des charmes de la
vie de la chair ; qu’une douceur surmonte une autre douceur, comme un clou
chasse un autre clou ». [179]
178. Saint François de
Sales a été éclairé par la demande de Jésus : « Mettez-vous à mon école, car je
suis doux et humble de cœur » ( Mt 11, 29). De cette façon,
disait-il, dans les choses les plus simples et les plus ordinaires, nous volons
le cœur du Seigneur : « Il faut avoir grand soin de le bien servir, aux choses
grandes et hautes et aux choses petites et abjectes, puisque nous pouvons
également, et par les unes et par les autres, lui dérober son cœur par amour
[...]. Ces petites charités quotidiennes, ce mal de tête, ce mal de dents,
cette défluxion, cette bizarrerie du mari ou de la femme, ce cassement d’un verre,
ce mépris ou cette moue, cette perte de gants, d’une bague, d’un mouchoir,
cette petite incommodité que l’on se fait, d’aller coucher de bonne heure et de
se lever matin pour prier, pour se communier, cette petite honte que l’on a à
faire certaines actions de dévotion en publique : bref, toutes ces petites
souffrances, étant prises et embrassées avec amour, contentent extrêmement la
Bonté divine ». [180] Mais
en définitive, la clé de notre réponse à l’amour du Cœur du Christ est l’amour
du prochain : « La marque que je vous donne pour connaître si vous aimez bien
Dieu, est que vous aimez aussi bien le prochain [...] d’un amour pur, solide,
ferme, constant et invariable, qui ne s’attache point aux qualités ou condition
des personnes […] qui ne sera point sujet au changement ni aux aversions. [...]
Notre Seigneur nous aime sans discontinuation, Il nous supporte en nos défauts
et en nos imperfections ; il faut donc que nous fassions de même à l’endroit de
nos frères, ne nous lassant jamais de les supporter ». [181]
179. Saint Charles de
Foucauld voulait imiter Jésus-Christ, vivre comme Il a vécu, agir comme Il a
agi, toujours faire ce que Jésus aurait fait à sa place. Pour réaliser
pleinement son objectif, il était nécessaire qu’il se conforme aux sentiments
du Cœur du Christ ; d’où l’expression “amour pour amour” qui apparaît une fois
encore lorsqu’il écrit : « Désir des souffrances pour Lui rendre amour pour
amour, pour l’imiter, [...] pour entrer dans son travail, et pour m’offrir avec
Lui, tout néant que je suis, en sacrifice, en victime, pour la sanctification
des hommes ». [182] Le
désir d’apporter l’amour de Jésus, par son engagement missionnaire, aux plus
pauvres et aux plus oubliés de la terre, l’amènent à prendre comme devise Iesus
Caritas, avec le symbole du Cœur du Christ surmonté d’une croix. [183] Ce
n’est pas une décision superficielle : « De toutes mes forces, je tâche de
montrer, de prouver à ces pauvres frères égarés que notre religion est toute
charité, toute fraternité, que son emblème est un Cœur ». [184] Et
il veut s’installer avec d’autres frères au Maroc au nom du Cœur de
Jésus. [185] Leur
tâche évangélisatrice se fera par rayonnement : « La charité doit rayonner des
fraternités, comme elle rayonne du Cœur de Jésus ». [186] Ce
désir fait de lui progressivement un frère universel car il veut embrasser dans
son cœur fraternel toute l’humanité souffrante en se laissant modeler par le
Cœur du Christ : « Notre cœur, comme celui de l’Église, comme celui de Jésus,
doit embrasser tous les hommes ». [187] «
L’amour du Cœur de Jésus pour les hommes, cet amour qu’Il montre dans sa
passion, voilà celui que nous devons avoir pour tous les humains ». [188]
180. L’abbé Huvelin,
directeur spirituel de saint Charles de Foucauld, disait que « lorsque Notre
Seigneur habite un cœur, Il lui donne ces sentiments, et ce cœur s’ouvre aux
petits. Telle était la disposition du cœur d’un Vincent de Paul [...] Quand
Notre Seigneur habite l’âme d’un prêtre, Il l’incline vers les pauvres ». [189] Il
est important de noter que ce don de soi chez saint Vincent, décrit par l’abbé
Huvelin, était aussi alimenté par la dévotion au Cœur du Christ. Vincent
exhortait à « prendre dans le Cœur de Notre Seigneur quelque parole de
consolation pour tel pauvre malade ». [190] Pour
que cela soit vrai il fallait que son cœur ait été transformé par l’amour et la
douceur du Cœur du Christ. Et saint Vincent a souvent répété cette conviction
dans ses sermons et ses conseils au point d’en faire un élément important des
Constitutions de sa Congrégation : « Tous étudieront soigneusement la leçon que
Jésus-Christ nous a enseignée en disant : “Apprenez de moi que je suis doux et
humble de cœur” ; considérant que, comme il assure lui-même, par la douceur on
possède la terre, parce qu’agissant dans cet esprit, on gagne les cœurs des
hommes, pour les convertir à Dieu, à quoi l’esprit de rigueur met empêchement
». [191]
La réparation : construire sur
les ruines
181. Tout cela nous permet
de comprendre, à la lumière de la Parole de Dieu, quel sens nous devons donner
à la “réparation” que nous offrons au Cœur du Christ, ce que le Seigneur attend
vraiment que nous réparions avec l’aide de sa grâce. Cette question a fait
l’objet de nombreuses discussions mais saint Jean-Paul II a
donné une réponse claire pour nous guider, chrétiens d’aujourd’hui, dans un
esprit de réparation plus conforme à l’Évangile.
Sens social de la réparation au
Cœur du Christ
182. Saint Jean-Paul II dit
que, « la civilisation du Cœur du Christ pourra être bâtie sur les ruines
accumulées par la haine et la violence » en nous abandonnant à ce Cœur. Cela
implique certainement que nous soyons capables de « joindre l’amour filial
envers Dieu à l’amour du prochain ». Telle est en réalité « la véritable
réparation demandée par le Cœur du Sauveur ». [192] Avec
le Christ, nous sommes appelés à construire une nouvelle civilisation de
l’amour sur les ruines que nous avons laissées en ce monde par notre péché.
Telle est la réparation que le Cœur du Christ attend de nous. Au milieu du
désastre laissé par le mal, le Cœur du Christ veut avoir besoin de notre
collaboration pour reconstruire le bien et le beau.
183. Il est vrai que tout
péché nuit à l’Église et à la société, de sorte qu’ « on peut attribuer indiscutablement
à tout péché le caractère de péché social ». Cependant, cela est
particulièrement vrai pour certains péchés qui « constituent, par leur objet
même, une agression directe envers le prochain ». [193] Saint Jean-Paul II explique
que la répétition de ces péchés contre les autres finit souvent par renforcer
une « structure de péché » nuisant au développement des peuples. [194] Cela
est souvent ancré dans une mentalité dominante qui considère normal ou
rationnel ce qui n’est rien d’autre que de l’égoïsme et de l’indifférence. Ce
phénomène peut être défini comme une “aliénation sociale” : « Une société est
aliénée quand, dans les formes de son organisation sociale, de la production et
de la consommation, elle rend plus difficile la réalisation de ce don et la
constitution de cette solidarité entre hommes ». [195] Ce
n’est pas seulement une norme morale qui nous pousse à résister à ces
structures sociales aliénées, les mettre à nu et susciter un dynamisme social
qui restaure et construit le bien, mais c’est la « conversion du cœur »
elle-même qui « impose l’obligation » [196] de
restaurer ces structures. Telle est notre réponse au Cœur aimant de
Jésus-Christ qui nous apprend à aimer.
184. C’est précisément
parce que la réparation évangélique a cette forte signification sociale que nos
actes d’amour, de service, de réconciliation, pour être effectivement
réparateurs, ont besoin que le Christ les pousse, les motive, les rende possibles. Saint Jean-Paul II a
également déclaré que, pour construire la civilisation de l’amour, l’humanité a
aujourd’hui besoin du Cœur du Christ. [197] La
réparation chrétienne ne peut être comprise uniquement comme un ensemble
d’œuvres extérieures, bien qu’indispensables et parfois admirables. Elle exige
une mystique, une âme, un sens qui leur donne force, élan et créativité
inlassables. Elle a besoin de la vie, du feu et de la lumière qui procèdent du
Cœur du Christ.
Réparer les cœurs blessés
185. Par ailleurs, la
réparation extérieure ne suffit ni au monde ni au Cœur du Christ. Si chacun
pense à ses propres péchés et à leurs conséquences sur les autres, il
découvrira que la réparation des dommages causés au monde implique également le
désir de réparer les cœurs blessés, là où a été causé le dommage le plus profond,
la blessure la plus douloureuse.
186. Un esprit de
réparation « nous invite à espérer que toute blessure peut être guérie, même si
elle est profonde. La complète réparation semble parfois impossible, lorsque
des biens, des êtres chers, sont définitivement perdus ou lorsque des
situations sont devenues irréversibles. Mais l’intention de réparer et d’en
poser concrètement les actes est capitale à la démarche de réconciliation et au
retour de la paix du cœur ». [198]
La beauté de demander pardon
187. Les bonnes intentions
ne suffisent pas. Un dynamisme intérieur de désir qui entraîne des conséquences
extérieures est indispensable. En bref, « la réparation, pour être chrétienne,
pour toucher le cœur de la personne offensée et ne pas être un simple acte de
justice commutative, suppose deux attitudes qui engagent : se reconnaître
fautif et demander pardon. [...] C’est de cette honnête reconnaissance du tort
causé au frère, et du sentiment profond et sincère que l’amour a été blessé,
que nait le désir de réparer ». [199]
188. Il ne faut pas penser
que reconnaître son propre péché devant les autres serait dégradant ou nuirait
à notre dignité humaine. Au contraire, c’est cesser de se mentir à soi-même,
c’est reconnaître son histoire telle qu’elle est, marquée par le péché, surtout
lorsque nous avons fait du mal à nos frères : « S’accuser soi-même fait partie
de la sagesse chrétienne. [...] Cela plaît au Seigneur, parce que le Seigneur
reçoit le cœur contrit ». [200]
189. L’habitude de
demander pardon aux frères fait partie de cet esprit de réparation ; elle
démontre une grande noblesse au cœur de notre fragilité. La demande de pardon
est un moyen de guérir les relations parce qu’elle « rouvre le dialogue et
manifeste la volonté de renouer dans la charité fraternelle, [...] elle touche
le cœur du frère, le console et suscite en lui l’accueil du pardon demandé.
Alors, si l’irréparable ne peut être totalement réparé, l’amour, lui, peut
toujours renaître, rendant la blessure supportable ». [201]
190. Un cœur capable de
compassion peut grandir dans la fraternité et la solidarité car « celui qui ne
pleure pas régresse, il vieillit intérieurement tandis que celui qui parvient à
une prière plus simple et plus intime, faite d’adoration et d’émotion devant
Dieu, celui-là mûrit. Il s’attache de moins en moins à lui-même, de plus en
plus au Christ, et devient pauvre en esprit. Il se sent ainsi plus proche des
pauvres, les bien-aimés de Dieu ». [202] C’est
ainsi que naît un authentique esprit de réparation, car « celui qui a de la
componction dans le cœur se sent de plus en plus frère de tous les pécheurs du
monde, il se sent davantage frère, sans aucun sentiment de supériorité ou de
dureté de jugement, mais toujours avec le désir d’aimer et de réparer ». [203] Cette
solidarité qui génère la compassion rend en même temps possible la
réconciliation. La personne capable de componction, « au lieu de se mettre en
colère et de se scandaliser du mal fait par ses frères, pleure leurs péchés.
Elle ne se scandalise pas. Il se produit une sorte de renversement. La tendance
naturelle à être indulgent avec soi-même et inflexible avec les autres
s’inverse et, par la grâce de Dieu, on devient ferme avec soi-même et
miséricordieux avec les autres ». [204]
La réparation : un prolongement
pour le Cœur du Christ
191. Il y a une autre
manière complémentaire de comprendre la réparation, qui place celle-ci dans une
relation encore plus directe avec le Cœur du Christ, sans pour autant exclure
l’engagement concret envers les frères dont nous avons parlé.
192. Dans un autre
contexte, j’ai affirmé que Dieu « a voulu se limiter lui-même de quelque
manière » et que « beaucoup de choses que nous considérons mauvaises,
dangereuses ou sources de souffrances, font en réalité partie des douleurs de
l’enfantement qui nous stimulent à collaborer avec le Créateur ». [205] Notre
coopération peut permettre à la puissance et à l’amour de Dieu de se répandre
dans nos vies et dans le monde, tandis que le rejet ou l’indifférence peuvent
l’empêcher. Certaines expressions bibliques expriment cela de manière
métaphorique, comme lorsque le Seigneur s’écrie : « Si tu reviens Israël, c’est
à moi que tu reviendras » ( Jr 4, 1). Ou lorsqu’il dit, face
aux rejets de son peuple : « Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes
entrailles frémissent » ( Os 11, 8).
193. Bien qu’il ne soit
pas possible de parler d’une nouvelle souffrance du Christ glorieux, « le
Mystère pascal du Christ […] et tout ce qu’Il a fait et souffert pour tous les
hommes participe de l’éternité divine et surplombe tous les temps et y est
rendu présent ». [206] Nous
pouvons dire qu’Il a lui-même accepté de limiter la gloire débordante de sa
résurrection, de contenir la diffusion de son amour immense et brûlant afin de
laisser de la place à notre libre coopération avec son cœur. Cela est si vrai
que notre refus l’arrête dans cet élan de don, tout comme notre confiance et
notre offrande de nous-mêmes ouvrent un espace, offrent un canal sans obstacles
à l’effusion de son amour. Notre refus ou notre indifférence limitent les
effets de sa puissance et la fécondité de son amour en nous. S’Il ne trouve pas
en moi confiance et ouverture, son amour se trouve privé – parce que Lui-même
le veut ainsi – de son prolongement dans ma vie qui est unique et ne peut être
répétée, et dans le monde où Il m’appelle à le rendre présent. Cela ne vient
pas d’une faiblesse de sa part mais de son infinie liberté, de sa puissance
paradoxale et de la perfection de son amour pour chacun de nous. Lorsque la
toute-puissance de Dieu se manifeste dans la faiblesse de notre liberté, «
seule la foi peut la discerner ». [207]
194. De fait, sainte
Marguerite-Marie raconte que, dans l’une de ses manifestations, le Christ lui
parla de son cœur passionné d’amour pour nous qui, « ne pouvant plus contenir
en lui-même les flammes de son ardente charité, il fallait qu’il les répande
». [208] Puisque
le Seigneur tout-puissant, dans sa liberté divine, a voulu avoir besoin de
nous, la réparation se comprend comme une libération des obstacles que nous
mettons à l’expansion de son amour dans le monde, par notre manque de
confiance, de gratitude et de don de soi.
L’offrande à l’Amour
195. Pour mieux réfléchir
à ce mystère, nous sommes à nouveau aidés par la spiritualité lumineuse de
sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Elle savait que certaines personnes avaient
développé une forme extrême de réparation, avec la bonne volonté de se donner
pour les autres, qui consistait à s’offrir comme une sorte de “paratonnerre”
pour que la justice divine s’accomplisse : « Je pensais aux âmes qui s’offrent
comme victimes à la justice de Dieu afin de détourner et d’attirer sur elles les
châtiments réservés aux coupables ». [209] Mais,
si admirable que soit cette offrande, elle n’en était pas très convaincue : «
J’étais loin de me sentir portée à la faire ». [210] Cette
insistance sur la justice divine conduit finalement à penser que le sacrifice
du Christ est incomplet ou partiellement efficace, ou que sa miséricorde n’est
pas assez grande.
196. Avec son intuition
spirituelle, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus découvre qu’il existe une autre
façon de s’offrir selon laquelle il n’est pas nécessaire de satisfaire la
justice divine mais de permettre à l’amour infini du Seigneur de se répandre
sans entrave : « Ô mon Dieu, votre amour méprisé va-t-il rester en votre Cœur ?
Il me semble que si vous trouviez des âmes s’offrant en Victimes d’holocauste à
votre Amour, vous les consumeriez rapidement, il me semble que vous seriez
heureux de ne point comprimer les flots d’infinie tendresse qui sont en vous
». [211]
197. Il n’y a rien à
ajouter à l’unique sacrifice rédempteur du Christ, mais il est vrai que le
refus de notre liberté ne permet pas au Cœur du Christ de répandre ses « flots
de tendresse infinie » dans le monde. Et cela parce que le Seigneur lui-même
veut respecter cette possibilité. Cela troublait sainte Thérèse de l’Enfant
Jésus plus que la justice divine car, pour elle, la justice ne peut se
comprendre qu’à la lumière de l’amour. Nous avons vu qu’elle adorait toutes les
perfections divines au travers de la miséricorde, et qu’elle les voyait ainsi
transfigurées, rayonnantes d’amour. Elle disait : « La Justice même (et
peut-être encore plus que toute autre) me semble revêtue d’amour ». [212]
198. C’est ainsi que naît
son acte d’offrande, non pas à la justice divine, mais à l’Amour miséricordieux
: « Je m’offre comme victime d’holocauste à votre Amour miséricordieux, vous
suppliant de me consumer sans cesse, laissant déborder en mon âme les flots de
tendresse infinie qui sont enfermés en vous, et qu’ainsi je devienne Martyre de
votre Amour ». [213] Il
est important de noter qu’il ne s’agit pas seulement, par une confiance totale,
de permettre au Cœur du Christ de répandre la beauté de son amour dans son
cœur, mais aussi de faire en sorte qu’il rejoigne les autres et transforme le
monde à travers sa vie : « Dans le Cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’Amour.
[...] Ainsi mon rêve sera réalisé ». [214] Les
deux aspects sont indissociables.
199. Le Seigneur accepta
son offrande. Elle exprimera un peu plus tard son amour intense pour les autres
et soutiendra qu’il provient du Cœur du Christ qui se prolonge à travers elle.
C’est ainsi qu’elle écrira à Sœur Léonie : « Je t’aime mille fois plus
tendrement que ne s’aiment des sœurs ordinaires, puisque je puis t’aimer avec
le Cœur de notre Céleste Époux ». [215] Et
quelque temps après, elle écrira à Maurice Bellière : « Ah ! Que je voudrais
vous faire comprendre la tendresse du Cœur de Jésus, ce qu’Il attend de vous
». [216]
Intégrité et harmonie
200. Sœurs et frères, je
propose que nous développions cette forme de réparation qui consiste, en
définitive, à offrir au Cœur du Christ une nouvelle possibilité de répandre en
ce monde les flammes de son ardente tendresse. S’il est vrai que la réparation
implique le désir de compenser les outrages commis contre l’Amour incréé par
les oublis ou les offenses, [217] le
chemin le plus approprié est que notre amour donne au Seigneur une possibilité
de s’étendre en échange de toutes ces fois où il a été rejeté ou nié. Cela se
produit en allant au-delà de la simple “consolation” au Christ dont nous avons
parlé dans le chapitre précédent, et se traduit par des actes d’amour fraternel
par lesquels nous guérissons les blessures de l’Église et du monde. De cette
manière, nous offrons de nouvelles expressions de la puissance restauratrice du
Cœur du Christ.
201. Les renoncements et
les souffrances qu’exigent ces actes d’amour pour le prochain nous unissent à
la Passion du Christ et, en souffrant avec le Christ en « cette crucifixion
mystique dont parle l’Apôtre, nous recevrons les fruits plus abondants de
propitiation et d’expiation, pour nous et pour les autres ». [218] Seul
le Christ nous sauve par le don de Lui-même sur la Croix, seul il rachète car «
Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ
Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous » ( 1 Tm 2,
5-6). La réparation que nous offrons est une participation que nous acceptons
librement à son amour rédempteur et à son unique sacrifice. Ainsi, nous
complétons dans notre chair « ce qui manque aux épreuves du Christ pour son
Corps qui est l’Église » ( Col 1, 24) et c’est le Christ
lui-même qui prolonge à travers nous les effets de son don total d’amour.
202. Les souffrances sont
souvent liées à notre ego blessé, mais c’est précisément l’humilité du Cœur du
Christ qui nous montre le chemin de l’abaissement. Dieu a voulu venir à nous en
s’humiliant, en se faisant petit. L’Ancien Testament nous l’enseigne à travers
diverses métaphores montrant un Dieu qui entre dans la petitesse de l’histoire
et se laisse rejeter par son peuple. Son amour se mêle à la vie quotidienne du
peuple aimé et devient le mendiant d’une réponse, comme s’il demandait la
permission de montrer sa gloire. D’autre part, « peut-être une seule fois Notre
Seigneur Jésus a-t-il parlé de son cœur. C’était pour mettre en évidence sa
douceur et son humilité, comme s’il signifiait que c’est seulement de cette
manière qu’il veut conquérir l’homme ». [219] Lorsque
le Christ dit : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur »
( Mt 11, 29), il nous indique que « pour s’exprimer, il a
besoin de notre petitesse, de notre abaissement ». [220]
203. Il est important de
noter, dans ce que nous avons dit, plusieurs aspects inséparables. En effet,
ces actes d’amour du prochain, avec les renoncements, les abnégations, les
souffrances et les peines qu’ils comportent, remplissent cette fonction
réparatrice lorsqu’ils sont nourris par la charité du Christ qui nous rend
capables d’aimer comme Il a aimé. Et c’est de cette manière qu’Il aime et sert
à travers nous. Si, d’un côté, il semble s’abaisser, s’humilier parce qu’Il a
voulu montrer son amour à travers nos gestes, d’un autre côté son cœur est
glorifié et manifeste toute sa grandeur dans les œuvres de miséricorde les plus
simples. Un cœur humain qui fait place à l’amour du Christ par une confiance
totale, et qui Lui permet de se déployer dans sa vie par son feu, devient
capable d’aimer les autres comme Lui, en se faisant petit et proche de tous.
C’est ainsi que le Christ se désaltère et répand glorieusement en nous et à
travers nous les flammes de sa tendresse brûlante. Remarquons la belle harmonie
de tout cela.
204. Enfin, pour
comprendre cette dévotion dans toute sa richesse, il faut ajouter, en reprenant
ce que nous avons dit sur sa dimension trinitaire, que la réparation au Christ
en tant qu’être humain est offerte au Père par l’action de l’Esprit Saint en
nous. Notre réparation au Cœur du Christ s’adresse donc en définitive au Père
qui se réjouit de nous voir unis au Christ lorsque nous nous offrons par Lui,
avec Lui et en Lui.
Rendre le monde amoureux
205. La proposition
chrétienne est attrayante lorsqu’elle est vécue et manifestée dans son
intégralité, non pas comme un simple refuge dans des sentiments religieux ou
dans des rites somptueux. Quel culte serait rendu au Christ si nous nous
contentions d’une relation individuelle, sans nous intéresser à aider les
autres à moins souffrir et à mieux vivre ? Peut-on plaire au Cœur qui a tant
aimé en restant dans une expérience religieuse intime, sans conséquences
fraternelles et sociales ? Soyons honnêtes et lisons la Parole de Dieu dans son
intégralité. Cependant, et pour cette même raison, il ne s’agit pas non plus
d’œuvrer à une promotion sociale dépourvue de sens religieux qui, en fin de compte,
voudrait donner à l’homme moins que ce que Dieu veut pour lui. C’est pourquoi
nous devons conclure ce chapitre en rappelant la dimension missionnaire de
notre amour pour le Cœur du Christ.
206. Saint Jean-Paul II,
outre la dimension sociale de la dévotion au Cœur du Christ, a parlé de la «
réparation qui est une coopération apostolique pour le salut du monde ». [221] De
même, la consécration au Cœur du Christ « doit être envisagée en relation avec
l’action missionnaire de l’Église, parce qu’elle répond au désir du Cœur de
Jésus de répandre dans le monde, à travers les membres de son Corps, son
dévouement total au Royaume ». [222] Par
conséquent, à travers les chrétiens, « l’amour se répandra dans le cœur des
hommes, pour que se construise le Corps du Christ qui est l’Église et que
s’édifie aussi une société de justice, de paix et de fraternité ». [223]
207. Les flammes d’amour
du Cœur du Christ se prolongent également dans l’œuvre missionnaire de l’Église
qui porte l’annonce de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ. Saint Vincent
de Paul l’a bien enseigné lorsqu’il invitait ses disciples à demander au
Seigneur « ce cœur, ce cœur qui nous fait aller partout, ce cœur du Fils de
Dieu, cœur de Notre-Seigneur, qui nous dispose à aller comme il irait [...] et
nous envoie comme il envoie [les Apôtres] pour porter partout son feu ». [224]
208. Saint Paul VI,
s’adressant aux Congrégations qui propageaient la dévotion au Sacré-Cœur,
rappelait qu’ « il ne fait aucun doute que l’engagement pastoral et le zèle
missionnaire brûleront plus intensément si les prêtres et les fidèles, pour
propager la gloire de Dieu, contemplent l’exemple de l’amour éternel que le
Christ nous a montré et orientent leurs efforts pour faire participer tous les
hommes à l’insondable richesse du Christ ». [225] À
la lumière du Sacré-Cœur, la mission devient une question d’amour, et le plus
grand risque est que beaucoup de choses qui sont dites et faites dans cette
mission ne parviennent pas à provoquer la rencontre heureuse avec l’amour du
Christ qui embrasse et sauve.
209. La mission, comprise
dans la perspective du rayonnement de l’amour du Cœur du Christ, a besoin de
missionnaires amoureux, toujours captivés par le Christ et qui transmettent
inlassablement cet amour qui a changé leur vie. Il leur sera alors pénible de
perdre leur temps à discuter de questions secondaires ou à imposer des vérités
et des règles. Leur souci majeur sera de communiquer ce qu’ils vivent, et
surtout que d’autres puissent percevoir la bonté et la beauté du Bien Aimé à
travers leurs pauvres tentatives. N’est-ce pas ce qui se passe avec toute
personne amoureuse ? Prenons l’exemple des paroles par lesquelles Dante
Alighieri, amoureux, tentait d’exprimer cette logique :
« Je dis qu’au seul penser de sa
valeur
Amour en moi si doux se fait sentir,
que si alors je ne perdais courage
mon vers ferait les gens d’amour éprendre ». [226]
210. Parler du Christ, par
le témoignage ou la parole, de telle manière que les autres n’aient pas à faire
un grand effort pour l’aimer, voilà le plus grand désir d’un missionnaire de
l’âme. Il n’y a pas de prosélytisme dans cette dynamique de l’amour : les
paroles de l’amoureux ne dérangent pas, n’imposent pas, ne forcent pas. Elles
poussent seulement les autres à se demander comment un tel amour est possible.
Dans le plus grand respect de la liberté et de la dignité de l’autre,
l’amoureux attend simplement qu’on lui permette de raconter cette amitié qui
remplit sa vie.
211. Le Christ te demande,
sans négliger la prudence et le respect, de ne pas avoir honte de reconnaître
ton amitié pour Lui. Il te demande d’oser dire aux autres qu’il est bon pour
toi de L’avoir rencontré : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes,
moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est dans les cieux » (Mt 10,
32). Mais ce n’est pas une obligation pour le cœur aimant, c’est un besoin
difficile à contenir : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1
Co 9, 16). « C’était en mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans
mes os. Je m’épuisais à le contenir, mais je n’ai pas pu » (Jr 20,
9).
En communion de service
212. Il ne faut pas penser
à cette mission de communiquer le Christ comme s’il s’agissait d’une chose
entre Lui et moi seuls. Elle se vit en communion avec la communauté et avec
l’Église. Si nous nous éloignons de la communauté, nous nous éloignons aussi de
Jésus. Si nous l’oublions et si nous ne nous en préoccupons pas, notre amitié
avec Jésus se refroidit. Il ne faut jamais oublier ce secret. L’amour pour les
frères de la communauté – religieuse, paroissiale, diocésaine, etc. – est comme
un carburant qui alimente notre relation amicale avec Jésus. Les actes d’amour
envers les frères et sœurs de la communauté peuvent être la meilleure et
parfois la seule façon d’exprimer l’amour de Jésus-Christ aux autres. Le
Seigneur lui-même le dit : « À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples
: si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35).
213. Cet amour devient un
service communautaire. Je ne me lasserai pas de rappeler que Jésus l’a exprimé
avec une grande clarté : « Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces
plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,
40). Il te propose de le trouver là aussi, dans chaque frère et chaque sœur,
surtout les plus pauvres, les plus méprisés et les plus abandonnés de la
société. Quelles belles rencontres !
214. Par conséquent, si
nous nous engageons à aider quelqu’un, cela ne signifie pas que nous oublions
Jésus. Au contraire, nous le rencontrons d’une autre manière. Et lorsque nous
essayons de relever et de guérir quelqu’un, Jésus est là, à nos côtés. En fait,
il est bon de se rappeler qu’en envoyant ses disciples en mission, « le
Seigneur agissait avec eux » (Mc 16, 20). Il est là, travaillant,
luttant et faisant le bien avec nous. D’une manière mystérieuse, c’est son
amour qui se manifeste par notre service, c’est lui qui parle au monde dans ce
langage qui parfois n’a pas de mots.
215. Il t’envoie faire le
bien et t’y pousse de l’intérieur. Pour cela, Il t’appelle par une vocation de
service : tu feras le bien comme médecin, comme mère, comme professeur, comme
prêtre. Où que tu sois, tu pourras sentir qu’Il t’appelle et t’envoie vivre
cette mission sur terre. Il nous dit lui-même : « Je vous envoie » (Lc 10,
3). Cela fait partie de l’amitié avec Lui. Pour que cette amitié mûrisse, tu
dois te laisser envoyer par Lui pour remplir une mission dans le monde, avec
confiance, avec générosité, avec liberté, sans peur. Si tu t’enfermes dans ton
confort, cela ne te donnera pas de sécurité. Les peurs, les tristesses et les
angoisses apparaîtront toujours. Celui qui ne remplit pas sa mission sur terre
ne peut pas être heureux. Il devient frustré. Alors laisse-toi envoyer,
laisse-toi conduire par Lui, là où Il veut que tu ailles. N’oublie pas qu’Il
t’accompagne. Il ne te jette pas dans l’abîme et ne t’abandonne pas à ton sort.
Il te conduit et t’accompagne. Il a promis et Il tient sa promesse : « Je suis
avec vous pour toujours » (Mt 28, 20).
216. En un sens, il faut
être missionnaire à la manière des apôtres de Jésus et des premiers disciples.
Ils sont allés proclamer l’amour de Dieu. Ils sont allés dire que le Christ est
vivant et qu’il vaut la peine de le connaître. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus
a vécu cela comme une partie inséparable de son offrande à l’Amour
miséricordieux : « Je voulais donner à boire à mon
Bien-aimé et je me sentais moi-même dévorée de la soif des âmes ». [227] Telle
est aussi ta mission. Chacun la remplit à sa manière, et tu verras comment tu
pourras être missionnaire. Jésus le mérite. Si tu l’oses, Il t’éclairera. Il
t’accompagnera et te fortifiera, et tu vivras une expérience précieuse qui te
fera beaucoup de bien. Peu importe que tu puisses voir des résultats, laisse cela
au Seigneur qui travaille dans le secret des cœurs, mais ne cesse pas de vivre
la joie d’essayer de communiquer l’amour du Christ aux autres.
217. Ce document nous a
permis de découvrir que le contenu des encycliques sociales Laudato si’ et Fratelli tutti n’est
pas étranger à notre rencontre avec l’amour de Jésus-Christ. En nous abreuvant
de cet amour, nous devenons capables de tisser des liens fraternels, de
reconnaître la dignité de tout être humain et de prendre soin ensemble de notre
maison commune.
218. Aujourd’hui, tout
s’achète et se paie, et il semble que le sens même de la dignité dépende de ce
que l’on peut obtenir par le pouvoir de l’argent. Nous sommes pressés
d’accumuler, de consommer et de nous distraire, prisonniers d’un système
dégradant qui ne nous permet pas de voir au-delà de nos besoins immédiats et
mesquins. L’amour du Christ est en dehors de cet engrenage pervers et Lui seul
peut nous libérer de cette fièvre où il n’y a plus de place pour un amour
gratuit. Il est en mesure de donner du cœur à cette terre et de réinventer
l’amour, là où nous pensons que la capacité d’aimer est définitivement morte.
219. L’Église aussi en a
besoin pour ne pas remplacer l’amour du Christ par des structures dépassées,
des obsessions d’un autre âge, adoration de sa propre mentalité, des fanatismes
de toutes sortes qui finissent par prendre la place de l’amour gratuit de Dieu
qui libère, vivifie, réjouit le cœur et nourrit les communautés. Un fleuve qui
ne s’épuise pas, qui ne passe pas, qui s’offre toujours de nouveau à qui veut
aimer, continue de jaillir de la blessure du côté du Christ. Seul son amour
rendra possible une nouvelle humanité.
220. Je prie le Seigneur
Jésus-Christ que jaillissent pour nous tous de son saint Cœur ces fleuves d’eau
vive qui guérissent les blessures que nous nous infligeons, qui renforcent
notre capacité d’aimer et de servir, qui nous poussent à apprendre à marcher
ensemble vers un monde juste, solidaire et fraternel. Et ce, jusqu’à ce que
nous célébrions ensemble, dans la joie, le banquet du Royaume céleste. Le
Christ ressuscité sera là, harmonisant nos différences par la lumière
jaillissant inlassablement de son Cœur ouvert. Qu’il soit béni !
Donné à Rome, près de
Saint-Pierre, le 24 octobre 2024, en la douzième année de mon Pontificat.
François
________________________
[1] Une grande partie des
réflexions de ce premier chapitre sont inspirées des écrits inédits du Père
Diego Fares S.I. Que le Seigneur l’accueille dans sa sainte gloire.
[2] Cf. Homère, Iliade,
21, 441.
[3] Cf. Ibid., 10,
244.
[4] Cf. Timée 65
c-d ; 70.
[5] Homélie de la messe à
Sainte Marthe, 14 octobre 2016 : L’Osservatore
Romano, 15 octobre 2016, p. 8.
[6] S. Jean-Paul II, Angélus,
2 juillet 2000 : L’Osservatore Romano, 3-4 juillet 2000, p. 4
[7] Id., Catéchèse,
8 juin 1994 : L’Osservatore Romano, 9 juin 1994, p. 5
[8] Les démons (1873).
[9] Religiöse Gestalten in
Dostojewskijs Werk, Mainz/Paderborn 1989, p. 236 .
[10] Karl
Rahner, Einige Thesen zur Theologie der Herz-Jesu-Verehrung“,
in Schriften zur Theologie, Band 3, Einsiedeln 1956, p. 392.
[11] Ibid.,
p. 393.
[12] Byung-Chul
Han, Heideggers Herz. Zum Begriff der Stimmung bei Martin
Heidegger, München 1996, p. 39.
[13] Ibid.,
p. 60; cf. p. 176.
[14] Cf.
Id., Agonie des Eros, Berlin 2012.
[15] Martin
Heidegger, Erläuterungen zu Hölderlins Dichtung, Frankfurt a. M.
1981, p. 120.
[16] Cf.
Michel de Certeau, L’espace du désir, Christus, t. 20, n. 77, 1973,
pp. 118-128.
[17] Itinerarium
mentis in Deum, 7, 6 : Opera Omnia, Quaracchi 1891, t. 5, p.
313.
[18] Id., Proemium
in I Sent., q. 3 : Opera Omnia, Quaracchi 1882, t. 1, p. 13.
[19] Méditations
sur la doctrine chrétienne, Paris 2008, pp. 133.134.
[20] Const.
past. Gaudium et spes,
n. 82.
[23] Cf.
Dicastère pour la Doctrine de la Foi, Déc. Dignitas infinita (12
avril 2024), n. 8 : Cf. L’Osservatore Romano, 8 avril 2024.
[24] Const.
past. Gaudium et spes,
n. 26.
[25] S.
Jean-Paul II, Angélus, 28 juin 1998 : L’Osservatore Romano,
30 juin-1 er juillet 1998, p. 7.
[26] Lett.
enc. Laudato si’ (24
mai 2015), n. 83 : AAS 107 (2015), p. 880.
[27] Homélie de la messe à
Sainte Marthe, 7 juin 2013 : L’Osservatore
Romano, 8 juin 2013, p. 8.
[28] Pie
XII, Lett. enc. Haurietis aquas (15
mai 1956), I : AAS 48 (1956), p. 316.
[29] Pie
VI, Const. Auctorem fidei (28 août 1794), n. 63 : Denz. n.
2663.
[30] Léon
XIII, Lett. enc. Annum sacrum (25
mai 1899), n. 7 : AAS 31 (1898-99), p. 649.
[31] Ibid. :
« Inest in Sacro Corde symbolum atque expressa imago infinitae Iesu Christi
caritatis ».
[32] Angélus, 9
juin 2013 : L’Osservatore Romano, 10-11 juin 2013, p. 8.
[33] On
comprend donc pourquoi l’Église a interdit de placer sur l’autel des
représentations du seul cœur de Jésus ou de Marie (cf. Réponse de la
Congrégation des Rites au prêtre Charles Lecoq P.S.S., 5 avril 1879 : Decreta
authentica Congregationis Sacrorum Rituum ex actis ejusdem Collecta, vol.
III, 107.108, n. 3492). En dehors de la liturgie, « pour la dévotion privée »
( ibid.), le symbolisme du cœur peut être utilisé comme une
expression didactique, une figure esthétique ou un emblème qui invite à penser
à l’amour du Christ, mais il y a un risque de prendre le cœur comme un objet
d’adoration ou de dialogue spirituel séparément de la personne du Christ. Le 31
mars 1887, la Congrégation donne une réponse similaire ( idem.,
187, n. 3673).
[34] Conc.
Œcum. de Trente, Sess. 25, Décr. Mandat Sancta Synodus (3
décembre 1563) : Denz. n. 1823.
[35] 5 Conférence
Générale de l’Épiscopat Latino-américain et des Caraïbes, Document
d’Aparecida (29 juin 2007), n. 259.
[36] Lett.
enc. Haurietis aquas (15
mai 1956), I : AAS 48 (1956), pp. 323-324.
[37] Ep. 261,
3: PG 32, 972.
[38] In
Io. homil. 63, 2 : PG 59, 350.
[39] De
fide ad Gratianum, II, 7, 56 : PL 16, 594 (ed. 1880).
[40] Enarr.
in Ps. 87, 3: PL 37, 1111.
[41] Cf. De
fide orth. 3, 6.20 : PG 94, 1006.1081.
[42] Olegario
González de Cardedal, La entraña del cristianismo, Secretariado
Trinitario, Salamanca 2010, pp. 70-71.
[43] Angélus,
1 er juin 2008 : L’Osservatore Romano, 2-3
juin 2008, p. 1.
[44] Pie
XII, Lett. enc. Haurietis aquas (15
mai 1956), II : AAS 48 (1956), pp. 327-328.
[45] Ibid.,
n. 28 : AAS 48 (1956), pp. 343-344.
[46] Benoît
XVI, Angélus,
1 er juin 2008 : L’Osservatore Romano, 2-3
juin 2008, p. 1.
[47] Vigile,
Const. Inter innumeras solicitudines (14 mai 553) : Denz. n.
420.
[48] Conc.
Œcum. d’Ephèse , Anathèmes de Cyrille d’Alexandrie, n.
8 : Denz. n. 259.
[49] II Conc.
Œcum. de Constantinople, Sess. 8 (2 juin 553), Can. 9 : Denz. n. 431.
[50] Cantique
spirituel A, Chant 23, 4 : Œuvres complètes, Paris 1959,
p. 837.
[51] Ibid., 13,
4, pp. 769-770.
[52] Ibid.,
12, 1, p. 764.
[53] «
Pour nous en tout cas, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père de qui tout vient et
pour qui nous sommes » (1 Co 8, 6). « Gloire à ce Dieu, notre
Père, dans les siècles des siècles ! Amen. » ( Ph 4, 20). «
Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des
miséricordes et le Dieu de toute consolation » ( 2 Co 1, 3).
[54] Lett.
ap. Tertio millennio
adveniente (10 novembre 1994), n. 49
: AAS 87 (1995), p. 35.
[55] Ad
Rom., 7 : PG 5, 694.
[56] «
Il faut que le monde reconnaisse que j’aime le Père » ( Jn 14,
31). « Moi et le Père nous sommes un » ( Jn 10, 30). « Je suis
dans le Père et le Père est en moi » ( Jn 14, 10).
[57] «
Je vais au Père » ( pros ton Patéra : Jn 16,
28). « Moi, je viens à toi » ( pros se : Jn 17,
11).
[58] « Eis
ton kolpon tou Patrós ».
[59] Adv
Haer 3, 18, 1 : PG 7, 932.
[60] In
Joh. 2, 2 : PG 14, 110.
[61] Angelus,
23 juin 2002 : L’Osservatore Romano, 24-25 juin 2002, p. 1.
[62] S.
Jean-Paul II, Message à l’occasion du centenaire de la Consécration du
genre humain au Sacré Cœur réalisée par Léon XIII, Varsovie (11 juin 1999)
: L’Osservatore Romano, 12 juin 1999, p. 5.
[63] Id ., Angelus,
8 juin 1986, n. 4 : L’Osservatore Romano, 9-10 juin 1986, p. 5.
[64] Homélie lors de la visite
à la Polyclinique Gemelli et à la Faculté de Médecine de l’Université
Catholique du Sacré-Cœur (27
juin 2014) : L’Osservatore Romano, 29 juin 2014, p. 7.
[65] Ep 1,
5.7; 2, 18; 3, 12.
[66] Ep 2,
5.6; 4, 15.
[67] Ep 1,
3.4.6.7.11.13.15; 2, 10.13.21.22; 3, 6.11.21.
[68] Message
à l’occasion du centenaire de la Consécration du genre humain au Sacré Cœur
réalisé par Léon XIII, Varsovie, 11 juin 1999 : L’Osservatore
Romano, 12 juin 1999, p. 5.
[69] «
Quoniamque inest in Sacro Corde symbolum atque expressa imago infinitae Iesu
Christi caritatis, quae movet ipsa nos ad amandum mutuo, ideo consentaneum est
dicare se Cordi eius augustissimo: quod tamen nihil est aliud quam dedere atque
obligare se Iesu Christo […]. En alterum hodie oblatum oculis auspicatissimum
divinissimumque signum: videlicet Cor Iesu sacratissimum, superimposita cruce,
splendidissimo candore inter flammas elucens. In eo omnes collocandae spes: ex
eo hominum petenda atque expectanda salus » (Lett. enc., Annum sacrum [25
mai 1899] : AAS 31 [1898-99], pp. 649, 651 : Denz. n. 3353).
[70] «
Car ce signe éminemment propice et la forme de dévotion qui en découle ne
renferment-ils point la synthèse de la religion et la norme d’une vie d’autant
plus parfaite qu’elle achemine les âmes à connaître plus profondément et plus
rapidement le Christ Seigneur, à l’aimer plus ardemment et à l’imiter avec plus
d’application et plus d’efficacité ? » (Lett. enc. Miserentissimus Redemptor [8
mai 1928], n. 3 : AAS 20 (1928), p. 167).
[71] «
C’est par excellence un acte de la vertu de religion dans la mesure où il
requiert de nous la volonté pleine et absolue de nous consacrer à l’amour du
divin Rédempteur, dont le cœur blessé est le vivant témoignage et le signe […].
Et nous pouvons considérer en lui, non seulement le symbole, mais comme un
résumé de tout le mystère de notre Rédemption. […] Le Christ montra
expressément à plusieurs reprises son cœur comme le symbole qui conduira à
reconnaître son amour ; et en même temps, il fit de son cœur un signe et un
gage de miséricorde et de grâce pour les besoins de l’Église à notre époque ».
(Lett. enc. Haurietis aquas [15
mai 1986], Proemio ; III ; IV : AAS 48 [1956], pp. 311, 336,
340).
[72] Catéchèse,
8 juin 1994, n. 2 : L’Osservatore Romano, 9 juin 1994, p. 5.
[73] Angélus,
1 er juin 2008 : L’Osservatore Romano, 2-3
juin 2008, p. 1.
[74] Lett.
enc. Haurietis aquas (15
mai 1956), IV : AAS 48 (1956), p. 344.
[75] Cf. Ibid. : AAS 48
(1956), p. 336.
[76] «
La valeur des révélations privées est foncièrement diverse de l’unique
révélation publique : celle-ci exige notre foi […]. Une révélation privée, […]
c’est une aide qui nous est offerte mais il n’est pas obligatoire de s’en
servir » (Benoît XVI, Exhort. ap. Verbum Domini [30 septembre
2010], n. 14 : AAS 102 [2010], p. 696).
[77] Lett.
enc. Haurietis aquas (15
mai 1956), IV : AAS 48 (1956), p. 340.
[78] Ibid. : AAS 48
(1956), p. 344.
[80] Exhort.
ap. C’est la confiance (15
octobre 2023), n. 20 : L’Osservatore Romano, 16 octobre 2023.
[81] S.
Thérèse de l’Enfant Jésus, Manuscrit autobiographique A, 83v°
: Œuvres complètes, Cerf, Paris 1992, p. 211.
[82] S.
Faustina Kowalska, Diaire, 22 février 1931.
[83] Cf. Mišna
Sukkâ 4, 5.9.
[84] Lettre au
Révérend Père Peter-Hans Kolvenbach, Préposé général de la Compagnie de
Jésus, Paray-le-Monial, 5 octobre 1986 : L’Osservatore Romano,
7 octobre 1986, p. 9.
[85] Actes
des martyrs de Lyon in Eusèbe de Césarée, Hist. eccles, 5,
1, 22 : PG 20, 418.
[86] Rufin,
5, 1, 22 in GCS Eusebius 2, 1, p. 411, 13s.
[87] S.
Justin, Dial. 135 : PG 6, 787.
[88] Novatien, De
Trinitate, 29 : PL 3, 944. Cf. S. Grégoire
d’Elvire, Tractatus Origenis de libris Sanctarum Scripturarum, 20,
12 : CCSL 69, 144.
[89] S.
Ambroise, Expl. Ps. 1, 33 : PL 14, 983-984.
[90] Cf. Tract.
in Joann. 61, 6 : PL 35, 1801.
[91] Epist.
ad Rufinum, 3, 4.3 : PL 22, 334.
[92] Sermones
in Cant. 61, 4 : PL 183, 1072.
[93] Cf. Expositio
altera super Cantica Canticorum, c. 1 : PL 180, 487.
[94] Id., De
natura et dignitate amoris, 1 : PL 184, 379.
[95] Id., Meditativae
Orationes 8, 6 : PL 180, 230.
[96] S.
Bonaventure, Opusculum 3, Lignum vitae, 30, in Opera Omnia,
Quaracchi 1898, t. 8, p. 79.
[97] Ibid.,
pp. 79-80.
[98] Legatus
divinae pietatis, 4, 4, 4 : SCh, 255, p. 66.
[99] León
Dehon, Directoire spirituel des prêtres du Sacré Cœur de Jésus, Turnhout
1936, 2, Ch. 7, n. 141.
[100] Le
Dialogue ch. 75, Paris 1999, p. 126.
[101] Cf.
Par exemple angelus Walz, De veneratione divini cordis Iesu in Ordine Praedicatorum,
Rome 1937.
[102] Rafael
García Herreros, Vida di San Juan Eudes, Bogotá 1943, p. 42.
[103] Id., Lettre
à la Baronne de Chantal, 24 avril 1610 : Œuvres complètes, Annecy,
Monastère de la Visitation, t. 14, p. 289.
[104] Id., Sermon pour
le deuxième dimanche de Carême, 20 février 1622, t. 10, pp. 243-244.
[105] Id., Lettre
à Mme de Chantal, 31 mai 1612, t. 15, p. 221.
[106] Id., Lettre
à la Sœur de Blonay, 18 février 1618, t. 18, pp. 170-171.
[107] Id., Lettre
à la Baronne de Chantal, fin novembre 1609, t. 14, p. 214.
[108] Id., Lettre
à la Baronne de Chantal, vers le 25 février 1610, t.14, p. 253.
[109] Id., Entretien
XII, De la simplicité et prudence religieuse, t.6, p. 217.
[110] Id., Lettre
à la Mère de Chantal, 10 juin 1611, t. 15, p. 63.
[111] S.
Marguerite-Marie Alacoque, Autobiographie, n. 53 : Vie et
œuvre de la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, Paris 1915, p. 69.
[112] Ibid.
[113] Ibid.,
n. 55, p.71.
[114] Cf.
Dicastère pour la Doctrine de la Foi, Normes procédurales pour
le discernement de phénomènes surnaturels présumés,
17 mai 2024, I, A, 12.
[115] S.
Marguerite-Marie Alacoque, Autobiographie, n. 92, p. 102.
[116] Id., Lettre
à Sœur de la Barge, 22 octobre 1689, pp. 468 .
[117] Id., Autobiographie,
n. 53, p. 69-70.
[118] Ibid.,
n. 55, p. 71.
[119] Sermon
sur la confiance en Dieu : Œuvres du R.P. de La Colombière,
t. 5, Lyon 1852, p. 100.
[120] Id., Retraite
faite à Londres, 1-8 février 1677, Œuvres du R.P. de la Colombière,
t.7, Avignon 1832, p. 93.
[121] Id., Retraite
spirituelle faite à Lyon, octobre- novembre 1674 , op. cit.,
p. 45.
[122] Cf.
S. Charles de Foucauld, Lettre à Madame de Bondy, 27 avril 1897.
[123] Id., Lettre
à Madame de Bondy, 28 avril 1901 ; Cf. C. de Foucauld, Lettre
à Madame de Bondy, 5 avril 1909 : « C’est par vous que j’ai connu et les
expositions du Très Saint Sacrement et les bénédictions, et le Sacré-Cœur ! ».
[124] Id., Lettre
à Madame de Bondy, 7 avril 1890.
[125] Id., Lettre
à l’Abbé Huvelin, 27 juin 1892.
[126] Id., Méditations
sur l’Ancien Testament (1896-1897), Genèse 30, 1-21.
[127] Id., Lettre
à l’Abbé Huvelin, 16 mai 1900.
[128] Id., Diaire, 17
mai 1906.
[129] Lettre
67 à Mme Guérin, 18 novembre 1888 : Œuvres Complètes, Paris 1996, p. 362.
[130] Id., Lettre
122, à Céline,14 octobre 1890, p. 431.
[131] Id., Poésie
23, “Au Sacré Cœur de Jésus”, juin ou octobre 1895, pp. 690-691.
[132] Id., Lettre
247, à l’abbé Maurice Bellière, 21 juin 1897, pp. 603-604.
[133] Id., Derniers
entretiens, Carnet jaune, 11 juillet 1897, p. 1037.
[134] Id., Lettre
197, à Sœur Marie du Sacré-Cœur, 17 septembre 1896, pp. 552- 553. Cela
ne veut pas dire que Thérèse n’a pas offert des sacrifices, ses douleurs et ses
angoisses pour s’associer à la souffrance du Christ, mais lorsqu’elle a voulu
entrer dans le vif du sujet, elle a veillé à ne pas donner à ces offrandes une
importance qu’elles n’avaient pas.
[135] Id., Lettre
142, à Céline, 6 juillet 1893, p. 463.
[136] Id., Lettre
191, à Léonie, 12 juillet 1896, pp. 542-543.
[137] Id., Lettre
226, au Père Roulland, 9 mai 1897, pp. 588-589.
[138] Id., Lettre
258, à l’abbé Maurice Bellière, 18 juillet 1897, p. 615.
[139] S.
Ignace de Loyola, Exercices Spirituels, n. 104.
[140] Ibid.,
n. 297.
[141] Cf. Lettre
à S. Ignace, 23 janvier 1541.
[142] De
Vita P. Ignatii et Societatis Iesu initiis, c. 8, 96, Bilbao-Santander
2021, p. 147.
[143] S.
Ignace de Loyola , Exercices Spirituels, n. 54.
[144] Cf. Ibid.,
nn. 230 ss.
[145] 23 Congrégation
générale de la Compagnie de Jésus, Déc. 46, 1 : Institutum Societatis
Iesu, 2, Florence, 1893, p. 511.
[146] In
Lui solo la speranza, Milano 1983, p. 180.
[147] Lettre au Préposé général
de la Compagnie de Jésus, Paray
le Monial, 5 octobre 1986.
[148] Conférence
132 “la pauvreté”, 13 août 1655 : S. Vincent de Paul, Correspondance,
Entretiens, Documents, II Entretiens, t. 11, Paris, 1923, p. 247.
[149] Id., Conférence
89 “la Mortification, la correspondance, les repas, les sorties”, 9
décembre 1657 : S. Vincent de Paul Correspondance, Entretiens,
Documents, II Entretiens, t. X, Paris 1923, p. 407.
[150] S.
Daniele Comboni, Scritti, 3324 : Daniele Comboni, Gli
scritti, Bologna 1991, p. 998.
[151] Cf. Homélie de la messe de
canonisation, 18 mai 2003 : L’Osservatore
Romano, 19-20 mai 2003, p. 6.
[152] Lett.
enc. Dives in misericordia (30
novembre 1980), n. 13 : AAS 72 (1980), p. 1219.
[153] Catéchèse,
20 juin 1979 : L’Osservatore Romano, 22 juin 1979, p. 1.
[154] Missionnaires
Comboniens du Cœur de Jésus, Règle de vie, Constitutions et Directoire
général, Rome 1988, 3.
[155] Religieuses
de la société du Sacré-Cœur, Constitutions de 1982, n. 7.
[156] Lett.
enc. Miserentissimus Redemptor (8
mai 1928) : AAS 20 (1928), p. 174.
[157] Lorsque
la vertu de la foi est exercée, orientée vers le Christ, l’âme accède non
seulement aux idées, mais aussi à la réalité de sa vie divine (cf. S. Thomas
d’Aquin, Summa Theologiae, 3, 4, 1).
[158] Lett.
enc. Miserentissimus Redemptor (8
mai 1928) : AAS 20 (1928), p. 174.
[159] Homélie de la Messe
Chrismale, 28 mars 2024 : L’Osservatore
Romano, 28 mars 2024, p. 2
[160] S.
Ignace de Loyola, Exercices Spirituels, n. 203.
[161] Homélie de la Messe
Chrismale, 28 mars 2024 : L’Osservatore
Romano, 28 mars 2024, p. 2.
[162] S.
Marguerite-Marie Alacoque, Autobiographie, Op.cit, pp. 71-72.
[163] Id., Lettre au
R.P. Croiset, 3 novembre 1689, pp. 576-577.
[164] Id., Autobiographie,
n. 92, p. 102.
[165] Lett.
enc. Annum sacrum (25
mai 1899), n. 8 : ASS 31 (1898-99), p. 649.
[166] Julien, Ep.
49 ad Arsacium Pontificem Galatiae, Antioche, hiver 362-363 : Mainz 1828,
pp. 90-91
[167] Ibid.
[168] Dicastère
pour la Doctrine de la Foi, Décl. Dignitas infinita (2
avril 2024), n. 19 : L’Osservatore Romano, 8 avril 2024.
[169] Cf.
Benoît XVI, Lettre au Préposé général
de la Compagnie de Jésus pour 50ème anniversaire de
l’Encyclique Haurietis aquas (15
mai 2006) : AAS 98 (2006), 461.
[170] In
Num. Homil. 12, 1: PG 12, 657.
[171] Epist. 29,
24 : PL 16, 1060.
[172] Adv.
Arium 1, 8 : PL 8, 1044.
[173] Cf. Tract.
In Joannem 32, 4 : PL 35, 1643.
[174] Expos.
in Ev. S. Joannis, cap. 7, lectio 5.
[175] Pie
XII, Lettre Encyclique Haurietis Aquas (15
mai 1956), II : AAS 48 (1956), p. 321.
[176] S.
Jean Paul II, Lettre encyclique Redemptoris Mater (25
mars 1987), n. 38 : AAS 79 (1987), p. 411.
[177] Conc.
Ecum. Vat II, Const. dogm. Lumen gentium,
n. 62.
[179] Sermones
super Cant., 20, 4 : PL 183, 869.
[180] Introduction
à la vie dévote, 3 ème part. chap. 35 : S. Francois de
Sales, Œuvres, Gallimard, Paris 1969, pp. 226-227.
[181] Id., Sermon
pour le 17ème dimanche après la Pentecôte, Œuvres
complètes, Annecy, Monastère de la Visitation, t. 9, pp. 200.201.
[182] Retraite
à Nazareth, Jésus en sa Passion, du 5 au 15 novembre 1897.
[183] À
partir du 19 mars 1902, toutes ses lettres ont pour entête les mots Jesus
Caritas séparés d’un cœur surmonté de la croix.
[184] Id. Lettre
à l’abbé Huvelin, 15 juillet 1904 : Charles de Foucauld, Œuvres
spirituelles, Paris 1958, p 675.
[185] Cf.
Id. Lettre à Dom Martin, 25 janvier 1903 ( Cahiers Charles
de Foucauld, vol. 2, p. 154).
[186] Cité
par René Voillaume, Les fraternités du Père de Foucauld, Paris,
1946, p. 173.
[187] S.
Charles de Foucauld, Méditation des saints Évangiles sur les passages
relatifs à quinze vertus, Charité, (Mt 20, 28) Nazareth
1897-1898.
[188] Ibid.,
(Mt 27, 30).
[189] H.
Huvelin, Quelques directeurs d’âmes au XVII siècle, Paris 1911, p.
97.
[190] Conférences,
Service au malades et soin de sa santé, 11 novembre 1657 : S. Vincent de
Paul, Correspondance, Entretiens, Documents, II Entretiens, t. 10, p. 334
[191] Id., Règles
communes, II, 6.
[192] S.
Jean-Paul II, Lettre au Préposé Général
de la Compagnie de Jésus, Paray-le-Monial,
5 octobre 1986 : L’Osservatore Romano, 6 octobre 1986, p. 7.
[193] Id.,
Exhort. ap. post. syn. Reconciliatio et
Paenitentia (2 décembre 1984), n. 16
: AAS 77 (1985), p. 215.
[194] Cf.
Id., Lett. enc. Sollicitudo Rei Socialis (30
décembre 1987), n. 36 : AAS 80 (1988), pp. 561-562.
[195] Id.,
Lett. enc. Centesimus annus (1
mai 1991), n. 41 : AAS 83 (1991), p.845.
[196] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 1888.
[197] Cf. Catéchèse, 8 juin 1994 : L’Osservatore
Romano, 9 juin 1994, p. 5.
[198] Discours aux participants
au colloque “réparer l’irréparable”, pour les 350 ans des apparitions de Jésus
à Paray-le-Monial, 4 mai 2024 : L’Osservatore
Romano, 4 mai 2024, p. 12.
[199] Ibid.
[200] Homélie de la messe à
Sainte Marthe, 6 mars 2018 : L’Osservatore
Romano, 5-6 mars 2018, p. 8.
[201] Discours aux participants
au colloque “réparer l’irréparable”, pour les 350 ans des apparitions de Jésus
à Paray-le-Monial, 4
mai 2024 : L’Osservatore Romano, 4 mai 2024, p. 12.
[202] Homélie de la messe
Chrismale, 28 mars 2024 : L’Osservatore
Romano, 28 marzo 2024, p. 2.
[205] Lett.
enc. Laudato si’ (24
mai 2015), n. 80 : AAS 107 (2015), p. 879.
[206] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 1085.
[207] Ibid.,
n. 268.
[208] Autobiographie,
n 53 : Vie et œuvre de la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque,
Paris 1915, p. 69.
[209] Ms
A, 84r°, p. 212.
[210] Ibid.
[211] Ibid.
[212] Id., Ms
A, 83v°, p. 211 ; Cf. Lettre 226, au Père Roulland, 9 mai
1897, p. 588.
[213] Id., Offrande
de moi-même comme Victime d’Holocauste à l’Amour Miséricordieux du Bon Dieu,
p. 965.
[214] Id., Ms
B, 3v°, p. 226.
[215] Id., Lettre
186, à Léonie, 11 avril 1896, p. 535.
[216] Id., Lettre
258, à l’abbé Bellière, 18 juillet 1897, p. 615.
[217] Cf.
Pie XI, Lett. enc. Miserentissimus Redemptor (8
mai 1928) : AAS 20 (1928), p. 169.
[219] S.
Jean-Paul II, Catéchèse,
20 juin 1979 : L’Osservatore Romano, 22 juin 1979, p. 1.
[220] Homélie de la messe à
Sainte Marthe, 27 juin 2014 : L’Osservatore
Romano, 28 juin 2014, p. 8.
[221] Message
à l’occasion du centenaire de la consécration du genre humain au Sacré Cœur
réalisé par Léon XIII, Varsovie, 11 juin 1999 : L’Osservatore
Romano, 12 juin 1999, p. 5.
[222] Ibid.
[223] Lettre à l’Archevêque de
Lyon pour le centenaire de la consécration du genre humain au Cœur de Jésus,
4 juin 1999 : L’Osservatore Romano, 12 juin 1999, p. 4.
[224] Répétition
d’oraison, 22 août 1655 : S. Vincent de Paul Correspondance,
Entretiens, Documents II, Entretiens, t. 11, p. 291.
[225] Lett. Diserti
interpretes, (5 mai 1965), n. 4 : Enchiridion della Vita Consacrata,
Bologne-Milan 2001, n. 3809.
[226] Vita
Nova, 19, 5-6.
[227] Ms
A, 45v° , Op. cit, p. 143.
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